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Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/214

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qui m’avez tant aimée… » Nous sommes du même âge ; mais, l’an passé, il s’est trouvé qu’à l’entendre j’ai cinq ans de plus qu’elle.

Je fus son témoin quand elle se maria avec le général Kounistchev, déjà âgé, et qui mourut au bout de six ans, lui laissant l’hôtel qu’elle habite l’hiver et une grande propriété près de Riazan où elle passe l’été.

C’est à présent une grosse blonde assez fraîche et très bien conservée, non seulement pour l’âge qu’elle a, mais encore pour celui qu’elle se donne. C’est une femme qui est loin d’être sotte, mais elle serait beaucoup plus sage si elle n’était pas si distraite. Elle se tient attentivement au fait de la littérature, lit la Revue des Deux Mondes d’un bout à l’autre, s’y attarde longuement, et sa conversation révèle toujours l’article qui l’a plus spécialement retenue. Un jour, à un dîner où l’on parlait d’une actrice française nouvelle, elle interrompit la conversation pour m’apostropher : « N’est-ce pas, Paul, que l’impératrice byzantine Zoé était une femme étrange ? » Une autre fois, elle demanda à un parent éloigné de feu son mari, Nicolas Kounistchev, élève d’une école militaire, qui passait chez elle les vacances : « Que pensez-vous, Nicolas, de la situation des fellahs en Égypte ? »