Page:Arène - Au bon soleil, 1881.djvu/16

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comme une sorte de terre sacrée. Les enfants tout petits en rêvent, et quiconque y a passé un an ou deux rapporte de là-bas les douces façons de parler qu’il gardera toute sa vie.

Lenthéric ne connaissait du monde que sa carrière, étroit plateau battu par les vents, et Saint-Domnin si noir dans ses noires murailles au fond du cirque des rochers blancs que remplit d’un bruit éternel le cours torrentueux de la Durance. Aussi ce voyage de trois jours avec Perdigal, le long des routes, derrière le baquet gémissant sous le poids des blocs enchaînés ; la nouveauté du pays, le ciel plus clair, l’air plus limpide au sortir des gorges ; sans compter les repas du soir, les chansons, la joie des rouliers partagée ; ce grand coup de soleil dans une existence monotone, tout cela le rajeunissait, le grisait.

Le troisième jour, comme le soir tombait, Perdigal, prenant par le milieu son manche de fouet en bois tressé, montra du bout un petit village à mi-coteau et, derrière, une maison longue et basse, percée de cent fenêtres, qui se cachait dans la verdure :

— Jouques, dit-il, là-bas, c’est la fabrique.

Et, rejetant son fouet sur son cou, il prit le cordeau pour faire enfiler à l’attelage l’entrée d’une avenue de peupliers.

— Bonjour, Perdigal, cria une voix fraîche.

— Eh ! bonjour, cousine.