Page:Arène - Contes de Paris et de Provence, 1913.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

fatigué, le fit monter sur sa carriole. Dia !… hi !… on cause, on se lie, le charretier tombe de sommeil.

— Si vous voulez, propose Charavany, pendant que vous dormirez un peu, je me tiendrai au cordeau et je surveillerai les bêtes.

Marché fait ! Le roulier s’endort, et Charavany, tout en guidant, soulève la bâche, éventre une caisse, desserre une corde et envoie le plus beau fromage rouler sans bruit dans le fossé.

Quelque cents pas plus loin, il éveilla honnêtement le roulier :

Adiousias, l’ami, je prends par la traverse.

Revenu sur ses pas et maître du fromage, Charavany commence par tailler en son milieu de quoi faire un repas mémorable ; en son milieu, entendez-vous, à la place exacte du moyeu si le fromage eût été roue, mais sans toucher à la circonférence. Puis le voilà parti, roulant devant lui, tranquillement, dans la poussière des grandes routes, ce disque d’aspect fantastique, dont le trou central s’agrandissait à chaque repas.

— De Peyroles, Monsieur, disait Charavany, le fromage m’a mené ainsi jusqu’à Lyon. À la fin, par exemple, il ne tenait pas debout, ce n’était plus qu’un cercle de croûte, et de ma grande roue de charrette la ferrure seule restait. Mais m’a-t-il gêné, ce sacré fromage ! lorsque je rencontrais les gendarmes, et que, sans papiers, sans ressources, il me fallait chaque fois leur prouver par de bonnes raisons que voyager en roulant sur la grand’route un gruyère percé à jour était la chose la plus naturelle du monde !