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SEPT NOUVELLES D’ARÉTIN

seaux destinés à tondre les brebis, maniait ces ducats en grinçant des dents ; son visage se crispait, son cœur battait avec violence. Ses idées furent toutes changées. Il se disait : « Si j’avais salué respectueusement celui qui m’a fait ce cadeau, il m’aurait peut-être donné le double ou davantage. » Il était comme un joueur qui, en comptant l’argent qu’il a gagné, se dit en lui-même : « Je n’ai pas su faire ; si j’avais opéré de telle façon, il ne serait pas resté un sou à aucun d’eux. » Il se mit à faire le compte du troupeau qu’il se proposait d’acheter à son maître ; il roulait dans sa tête les maisons, les champs d’oliviers, les vignes, qu’il comptait acquérir ; il lui semblait que les ducats que le pape lui avait jetés fussent des millions. Il passa la nuit entière dans la plus grande agitation, et le matin, en se levant, il avait l’air d’un épervier dont on a cousu les paupières. C’est ainsi que l’argent qui lui avait été donné le priva de la simplicité où il avait vécu, et il ne jouit plus des douceurs de son insouciante ignorance, bien préférable à l’éclat qui environnait Léon.