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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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loi proposée ne leur convenait point, ils la rejetaient par un murmure universel ; quand elle leur convenait, ils frappaient sur leur bouclier en signe de consentement.

C’est dans ces assemblées que furent faites les lois saliques ; et l’on retrouve dans l’esprit de ces lois tout ce que Tacite a dit des mœurs des Germains. On voit bien que les Francs sont un de ces peuples dont l’iiistorien a si bien retracé les mœurs.

Quand les Francs se furent dispersés dans les liaules, quand ils devinrent propriétaires, ils cessèrent de tenir leurs assemblées, par la difficulté même de se rassembler.

Il est impossible de déterminer l’époque où ces assemblées cessèrent ; mais quoi qu’il en soit, ce fut par le fait, et non par le droit.

Ne pouvant rassembler le peuple français, les rois rassemblèrent les évoques et les principaux chefs, et il s’établit une aristocratie, au lieu d’une démocratie tempérée par le pouvoir du roi et des chefs, tel que Tacite nous représente le gouvernement des Germains.

Les Francs trouvèrent la religion catholique établie dans les Gaules : ils y trouvèrent des évêques et des prêtres, et Glovis ayant adopté avec tous les Francs la religion chrétienne, il était naturel qu’un peuple extrêmement ignorant, donnât beaucoup de pouvoir et d’ascendant aux prêtres de la religion qu’il adoptait.

Mais les évêques, accoutumés au despotisme des empereurs, et étant les seuls qui alors fussent libres, étaient destinés à reproduire ce despotisme, et à faire oublier bientôt aux Français leur constitution libre.

Saint Paul avait recommandé Vobéissance la plus entière aux puissances, et le clergé prêcha l’obéissance aveugle au roi.

Cependant les évêques voulurent retenir pour eux-mêmes une partie du pouvoir législatif ; aussi n’est-ce pas une monarchie absolue qui s’établit alors, mais une aristocratie du roi, des évêques et des grands du royaume, qu’on appelait alors leudes, antrutions, fidelles.

C’est par ce corps aristocratique que furent faites les lois sous la première race de nos rois.

L’assemblée qui se tint à Paris en 615 était ainsi composée, et l’ordonnance qu’elle publia en est la preuve (1).

Tout le monde sait comment les maires du palais s’emparèrent de l’autorité royale au préjudice des véritables rois. Pépin monta sur le trône ; il se fit sacrer par le pape Etienne, pour en imposer à des peuples superstitieux par le pres-

(1) Celte ordonnance avait pnur but la réforme du gouvernement. Quicumque vero hanc deliberationem auam éum Pontificibls et cum Mag.ms viris optimatibus Yel fidemuus nostris, in tynodali concilia insiituimus, temerare prœsumpserit in ipsum, capitali sententia judicetur. (Art. 24.)

1" Série, T. I".

tige d’une cérémonie religieuse ; et de là les évoques , renouvelant les superstitions du peuple juif, commencèrent d’appeler les rois l’oint du Seigneur ; la propre puissance des évêques s’élevait par cette nouveauté, puisque c’était eux qui faisaient les rois par la cérémonie du sacre, et les corps ne perdent jamais l’occasion d’acquérir quelque avantage.

Pépin, pour colorer encore son usurpation, appela autour de lui, non tous les évêques et tous les grands du royaume, mais ceux qui l’avaient aidé dans ses projets ; et il appela cette assemblée de ses confédérés l’assemblée de la nation française ; il se fit déférer par eux une couronne qu’il tenait déjà par le droit du plus fort, et qui n’était pas en leur pouvoir.

Pépin continua de tenir ces assemblées au mois de mai ; elles furent appelées champ de mai.

Chariemagne eut du génie et des vertus ; il parut connaître les droits des hommes, et il voyait le peuple avec ce même respect avec lequel les hommes vulgaires voient un prince fugitif dépouillé de ses États.

Il savait d’ailleurs que le seul moyen d’opérer le bien public, c’était d’y intéresser chaque citoyen.

11 eût régénéré la nation française ; il était assez vertueux, assez juste, et surtout assez éclairé pour lui restituer son antique forme de gouvernement ; mais, d’un côté, la nation n’était pas éclairée elle-même sur ses droits ; de l’autre, il lui eût été impossible de vaincre la résistance des évêques et des grands.

Ce fut avec peine qu’il fit admettre le peuple aux assemblées : on pense bien qu’il ne put y paraître qu’avec le plus grand désavantage.

Les Capitulaires qui, sous son règne et sous celui de quelques-uns de ses successeurs, ont été rédigés dans ces assemblées, sont, après la loi salique , le seul monument national qui nous reste. Ces Capitulaires annoncent que les lois doivent être faites par le concours du roi et de la nation, par la constitution du roi et le consentement du peuple (l).

Il n’est pas permis de douter que la puissance législative ne résidât dans le corps ;de la nation sous le règne de la seconde race, puisque les Capitulaires disent eux mêmes que la loi n’est autre chose que la volonté de la nation, promulguée par le prince.

Chariemagne eût pu s’emparer de tous les pouvoirs s’il l’eût voulu ; la division qui régnait alors entre la noblesse et le clergé, et la haine générale des peuples pour la noblesse et le clergé qui les opprimaient, eussent été pour lui des moyens infaillibles. <•

(1) II ne faut pas entendre par constitution du roi, autorité du roi, mais sanction du roi. Lexfitconsentu populi, et constitutione régis. Capitilaires, année 864»