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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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impitoyablement. Deux corps de troupes entrent à la fuis par deux extrémités de la rue Saint Dominique, chargent à coups de bayonnettes tout ce qui se trouve entre eux sans aucune distinction, et couvrent le pavé de cadavres. La même scène se répétait dans la rue Meslay où demeurait le chevalier Dubois, et deux rues de Paris furent inondées de sang.

Sur la dénonciation de ces assassinats, le commandant du guet fut mandé par le Parlement. Le major comparut en son nom, et présenta un ordre supérieur.

Le chevalier Dubois fut obligé de fuir de la capitale : sa sûreté personnelle exigea le sacritice de sa place.

Le mal était tel, qu’il fallait pour les finances un homme qui fût riche de l’opinion publique, plutôt qu’un ministre habile. Les facultés d’un seul homme auraient pu à peine mesurer l’abîme ; il fallait le concours de 25 millions d’hommes pour le combler. M. Necker fut rappelé, parce qu’il n’y avait que lui qui eût un crédit personnel, qui pût servir d’une immense caution. Le rappel de ce ministre et le rétablissement des tribunaux qui en fut la suite répandirent la joie et une sorte d’enthousiasme qui soutint momentanément le crédit.

La première chose que fit M. Necker fut d’obtenir la grâce des exilés, et de faire réitérer la promesse de la très-prochaine convocation des États ; mais les Parlements, voulant se ménager une retraite, demandaient qu’ils fussent convoqués dans la même forme que ceux de 1614, c’est-à dire en nombre égal de députés de chaque ordre, et d’après un mode d’élection qui assurât l’entrée de la chambre des communes aux officiers ministériels, aux baillis, sénéchaux, officiers municipaux et de justice qui, ayant eu en 1614 le droit d’y entrer, étaient toujours du parti de la cour qui les nommait. Tel était aussi le vœu de la noblesse et du clergé ; mais la grande majorité des Français, quelques nobles même rejetèrent cette tyrannique prétention.

Le Dauphiné venait de donner à la France un grand exemple. Il résista aux violences ministérielles ; ses représentants délibérèrent avec courage à Vizille, au milieu des bataillons dont ils étaient environnés, sous le feu de plusieurs batteries dirigées contre eux, et forcèrent par leur sagesse, leur constance et leur énergie, le ministère à reconnaître le droit éternel qu’ont tous les peuples de régler eux-mêmes leur existence politique, de former des assemblées nationales pour discuter leurs intérêts et assurer la tranquillité publique. L’assemblée de Romans fut convoquée par le roi, à l’effet de dresser un plan de constitution pour les États du pays, dont l’ancienne forme, repoussée par l’opinion et le sentiment universel, ne pouvait plus convenir.

Les deux premiers ordres, sacrifiant les misérables prétentions de la vanité à cet esprit de patriotisme, toujours équitable lorsqu’il est éclairé, s’empressèrent de renoncer à des distinctions aussi injustes qu’onéreuses pour le peuple ; et afin d’établir entre tous les citoyens cette unité d’intérêts qui seule peut affermir l’union, et former de toutes les parties de l’État un ensemble, arrêtèrent que l’ordre du tiers état aurait aux États de la province une représentation égale à celle des deux autres réunis ; que l’assemblée serait une, qu’on y délibérerait par tête, et que les subsides seraient proportionnellement répartis entre tous les citoyens sans distinction. Ces bases avaient déjà été établies par les notables convoqués pendant le ministère de M. de Calonne, et adoptées pour toutes les administrations provinciales créées par cette assemblée.

Ils statuèrent : 1o que l’octroi des impôts serait absolument, et en dernier ressort, attribué aux États généraux, ainsi que leur répartition entre les provinces ; 2o que cette attribution serait exclusive, et que nul impôt ne pourrait être établi dans la province avant que les députés en eussent délibéré dans l’assemblée des États généraux. Enfin, ils établirent la nécessité du peuple, en arrêtant que toute loi nouvelle, avant son enregistrement dans les cours, serait communiquée aux procureurs généraux syndics, afin qu’il en fût délibéré, etc. Ils consommèrent leurs travaux patriotiques, en déclarant que, dans aucun temps, on ne pourrait changer cette constitution sans le concours d’une pareille assemblée nationale générale ; en demandant enfin que les États généraux de la France fussent formés sur les mêmes bases d’équité, et qu’on les suivît dans la nomination des députés.

Le Dauphiné devint l’admiration et le modèle du royaume. Les provinces qui n’avaient point d’États voulurent s’en former sur ces principes. Toutes les municipalités de Bretagne, les trois ordres du Velay, du Languedoc, du Vivarais, le tiers état de Provence, envoyèrent des députés porter au pied du trône le vœu des peuples.

Le gouvernement, embarrassé entre ces demandes et les arrêtés des Parlements, s’empressa de rassembler l’ancien conseil des notables. La noblesse bretonne, alarmée pour ses priviléges, protesta aussitôt contre une assemblée qui n’était point constituée par la loi, et dont les membres, n’étant ni librement élus ni chargés d’aucun mandat spécial de la nation, ne pouvaient la représenter ni la lier par leur délibération. Il eût peut-être été facile au ministre de décider contre les Parlements qui commençaient à devenir suspects ; mais il crut plus sage de faire convoquer de nouveau les notables, pour leur présenter ce nœud à couper. Les corps et les ordres l’emportèrent encore ; car, de tous les bureaux, celui de Mon-