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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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bles, contre un souverain qui commande toujours à cent mille hommes ?

Première époque du gouvernement féodal, quand l’autorité seigneuriale était soumise à celle de la nation

Tant que les seigneurs se soutinrent dans la soumission envers le roi, et que le monarque put étendre dans tout son empire le pouvoir des lois sur toutes les classes des citoyens, cette forme de gouvernement était un obstacle au despotisme absolu. Cependant, s’il ne s’exerçait pas immédiatement sur le peuple au nom du roi, il n’en existait pas moins. Le monarque dominait sur ses vassaux immédiats ; ceux-ci, sur les arrière-fiefs de la couronne, qui commandaient à une noblesse inférieure, laquelle exerçait sa puissance sur les roturiers, sur les serfs, sur les esclaves.

Tous ces seigneurs dominés et dominants faisaient dans l’État la fonction que les officiers supérieurs et les officiers subalternes exercent aujourd’hui sur toute une armée.

Cette hiérarchie était encore la même que celle du clergé, avec différentes formes ; mais elle était soumise à la puissance et à l’inspection nationale, qui vérifiait tout en présence de tous ; surtout sous Charlemagne qui convoquait les ducs, le clergé et le peuple.

Seconde époque du gouvernement féodal, quand l’autorité royale devint suzeraine.

Les abus d’un pareil gouvernement s’aggravèrent à cette époque, où la souveraineté du roi fut changée par le fait en simple suzeraineté ; le monarque se vit obligé alors de traiter avec les grands vassaux comme avec des égaux, et dès lors il n’y eut plus de corps monarchique en France, mais une espèce d association de petites souverainetés. Ce pouvoir royal une fois divisé ne fut donc plus balancé, et la monarchie française perdit sa primitive constitution, qui consistait dans le concours de la volonté royale et de la volonté nationale pour toutes les opérations, et la France fut divisée en seigneureries qui ne travaillaient plus de concert dans les sanctions générales de la France, chaque duc, chaque comte n’agissant plus avec le monarque pour contester avec lui les intérêts des peuples, mais pour défendre les prérogatives de leurs usurpations.

Troisième époque du gouvernement féodal dans sa dégénération ultérieure, ou le despotisme féodal comparé à la servitude royale.

Alors les peuples, privés de l’autorité directe du gouvernement, tombèrent dans cette servitude dont les derniers rois n’ont pas oublié de conserver les monuments, et qu’on voit dépeints avec les plus noires et les plus vraies couleurs dans les ouvrages des partisans de l’autorité royale ; alors la France, cette nation généreuse et conquérante, gémit sous la servitude la plus déshonorante des ducs et des comtes.

Cependant cette servitude était-elle égale à celle du despote qui se joue de la liberté et des propriétés des citoyens ? Le despotisme d’un baron était-il plus intolérable que celui qu’exerce sur une grande nation la force armée d’un souverain ?

Dans la servitude royale, on voit des armées de commis intraitables, durs de caractère, et par habitude, habiles dans l’art du fisc, exerçant sans pitié et d’une manière irrévocable la volonté du souverain dans la levée de l’impôt. Le monarque, insensible, aux cris du malheureux dont il ne peut entendre la voix plaintive, a commandé cet impôt de sa certaine science et pleine puissance : l’ordre s’est propagé jusqu’aux frontières les plus reculées. Il faut qu’il soit exécuté. Si le malheureux ne peut payer l’impôt, il faut qu’il abandonne sa propriété, son champ et sa vigne, parce que le despote a dit en faisant la loi, sans connaître si elle peut être exécutée : C’est ma volonté et mon plaisir.

Le seigneur, au contraire, qui vit dans ses châteaux, qui trouve sa subsistance et le maintien de sa famille dans le cens que lui doit son vassal, pouvait être intéressé à devenir le père de tous les propriétaires : il connaissait en détail les malheureux ; il pouvait être excité par la compassion à aider et à encourager ses vassaux.

Enfin, on ne trouve dans le despote qui veut, par l’organe de ses officiers, que des volontés irrévocables ; dans le gouvernement féodal on voit de petits souverains obligés de reconnaître en personne la calamité ou la prospérité publique ; dans les grands empires régis par le despote, on ne voit qu’un monarque éloigné de ses sujets, que des ministres jaloux en éloignent davantage, et qui ne peut entendre parler du bien ou du mal que par des ouï-dire que l’intérêt a toujours soin de voiler, d’altérer ou de corrompre.

Enfin, si le bonheur des peuples peut subsister quelque part, c’est surtout dans les petites souverainetés : la confusion et le désordre dominent au contraire dans tous les grands empires.

Tels étaient les principes qui inspirèrent à nos anciens jurisconsultes cette foule d’écrits qui tendaient à faire consolider le pouvoir féodal, en le représentant comme un bienfait des rois : c’était le coup de grâce donné à un patient.

Causes du pouvoir féodal.

Tels furent longtemps les avantages et les inconvénients de la féodalité en France : elle se fortifia surtout au commencement de la troisième race, Capet et ses successeurs ayant eu soin de laisser en paix des seigneurs dangereux qui pouvaient se rappeler de leur ancienne puissance,