Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 3.djvu/298

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Il faut ne posséder qu’un esprit étroit, qu’une âme incapable de sentir les grandes choses, d’apprécier les grandes situations d’un homme politique, qu’un cœur égoïste enfin, pour ne pas découvrir dans cette judicieuse et éloquente proclamation, l’accent de la conviction qui animait Rigaud en ce moment-là. Malheureux serait le lecteur qui n’y verrait qu’une de ces scènes de jonglerie politique à l’usage de certains chefs !

Quels étaient les antécédens de Rigaud ?

Né à Saint-Domingue, rangé dans la classe opprimée des mulâtres, il fut envoyé dans son enfance à Bordeaux, cette ville dont l’esprit public a tant contribué à faire reconnaître les droits politiques de sa classe ; il y fut élevé dans les principes français, essentiellement portés au républicanisme sur la fin du 18e siècle. De retour à Saint-Domingue, il fit partie de l’expédition de Savannah ; il y combattit sous les ordres du brave comte d’Estaing, pour la liberté d’un peuple. Rentré dans son pays, il prit bientôt les armes contre le régime colonial, afin d’assurer à lui et à sa classe la liberté politique, et son premier combat fut une victoire, le second encore une victoire. Il concourut à des conventions, à des concordats qui légitimèrent l’emploi des armes dans les mains de sa classe. Avant l’injuste Sonthonax, il avait assuré la liberté à des centaines de noirs dans ce département du Sud, où il commandait ; ces hommes le connaissaient, l’estimaient à raison de sa conduite envers eux. Depuis trois ans, il combattait dans son pays contre ces mêmes Anglais qu’il avait vus sur un autre champ de bataille, et qui vinrent principalement pour ravir aux noirs la liberté dont ils jouissaient sous son patronage. Tout récemment, Roume et Perroud lui-même lui avaient fait connaître le