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le déterminer à la soumission ? Dans une telle conjoncture, était-il sensé de sa part de lui rappeler l’affaire du Fort-Dauphin, et de l’exciter à la désertion uniquement en l’assurant que les Espagnols offraient de le livrer, de le tuer, d’envoyer sa tête pour avoir leurs prisonniers ? À notre avis, Laveaux manqua de tact ; et sa manière d’agir envers Jean François est pour nous une preuve indirecte qu’il n’eût pas réussi à amener T. Louverture à la défection, si ce dernier n’était pas, au 4 avril 1794, en complète insurrection contre les Espagnols. Peut-être que Villatte eût réussi à gagner Jean François, si Laveaux n’était pas au Cap en ce moment.

Nous allons voir maintenant la réponse que fît Jean François, et que nous possédons en copie tirée également des archives de Santo-Domingo.

Fort-Dauphin, le 26 novembre 1794.


Jean François, général des troupes auxiliaires de S. M. C.,
À E. Laveaux, gouverneur général pour la République française, au Cap.


Général,

Votre lettre datée du 30 brumaire de l’an 3 de la République française, que je viens de recevoir, me fait connaître les nobles sentimens avec lesquels vous l’avez dictée. Elle commence avec le mépris que tous vous autres aurez toujours pour les gens de ma race. J’ai l’honneur d’être nommé général parmi mes amis et mes ennemis : titre glorieux que je me suis acquis par mes exploits, ma bonne conduite, ma probité et mon courage ; et vous me privez de cet honneur dans la première parole de votre lettre, en me nommant d’un air dédaigneux et méprisant : Jean François, tout comme vous pourriez faire dans ces temps malheureux où votre orgueil et votre cruauté nous confondaient avec les chevaux et les bêtes-à-cornes et les plus vils animaux, et précisément dans une occasion où vous avez besoin de moi ! Et vous me proposez la perfidie la plus noire, que vous cherchez à