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Pour arriver au pouvoir dans la colonie et s’y maintenir en dépit du gouvernement français, T. Louverture avait dû constamment ruser avec lui et ses agens, et expulser ceux-ci successivement. Ses relations avec les agens des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne firent croire ensuite qu’il visait à l’indépendance absolue de Saint-Domingue : de là les préventions qui firent son malheur et qui furent cause de la détention rigoureuse qu’il a subie[1].

L’empereur Napoléon paraît avoir été convaincu plus tard, du contraire de ce que croyait le Premier Consul. S’il n’en était pas ainsi, pourquoi aurait-il dit au comte de Las Cases ? « J’ai à me reprocher une tentative sur cette a colonie lors du consulat. C’était une grande faute que d’avoir voulu la soumettre par la force ; je devais me contenter de la gouverner par l’intermédiaire de Toussaint…  » C’est qu’il avait acquis la certitude que T. Louverture s’était franchement allié avec les colons, qu’il avait adopté leurs vues pour placer Saint-Domingue sous le protectorat de la France, en y établissant dé fait l’ancien régime colonial, ainsi qu’il résulte de la constitution

  1. Nous avons lu, dans les archives du ministère de la marine, deux lettres de T. Louverture à Roume, écrites de Léogane, les 12 et 13 janvier 1800. Roume l’avait invité à faire une proclamation contre les Anglais, afin de réfuter l’accusation portée contre lui, de s’être entendu avec eux pour déclarer l’indépendance de la colonie. Il s’y refusa, vu les circonstances où se trouvait Saint-Domingue :

    « J’agis avec les Anglais par politique, dit-il » Oui, citoyen agent, je vie servirai d’eux tant que je les croirai utiles au salut de la colonie. Je serai, en cela, plus adroit et plus politique qu’eux. Je n’emploierai pas le machiavélisme, parce que je ne le connais pas ; mais je les ménagerai, j’agirai avec eux de manière a les persuader que je suis leur dupe, parce que je n’ai ni ne peux employer de moyens de représailles. Ceux que j’emploie les vaudront bien !… J’agis, enfin, pour conserver la colonie à la France, et j’espère quelle in en saura bon gré.  »

    Il fit effectivement ce qu’il a dit à Roume : mais les préventions subsistèrent contre lui.