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culièrement contraire avait isolés des leurs. La guerre des couleurs fut dès-lors et pour longtemps réinaugurée à Saint-Domingue. Elle y avait toujours été une guerre à mort, — les noirs n’ayant pas pour habitude de faire quartier à leurs prisonniers. [1] »

Le général Rochambeau et ses troupes qui s’emparèdu Fort-Liberté, le 4 février, étaient-ils des noirs, et firent-ils quartier aux soldats et officiers faits prisonniers alors ? Le général Hardy, qui enleva le poste de la Rivière-Salée, le 5 février, en marchant sur le Cap, était-il un noir et fit-il non plus quartier aux prisonniers ? Plus tard, ce même général était-il devenu un noir quand il passait au fil de l’épée, tantôt 200, tantôt 600 prisonniers, d’après le témoignage même de P. de Lacroix ? Cette guerre des couleurs n’existait-elle pas dès-lors ? Pourquoi ce mot de tigres appliqué aux noirs, si on les considérait comme des hommes, sans faire attention à leur couleur ? C’est encore la même expression que nous avons relevée dans l’ouvrage de Bignon.

Et qui peut faire accroire qu’en ordonnant l’embarquement de toute la 6e} le général Leclerc ou l’amiral Latouche Tréville n’avait pas fait museler ces tigres ? On les aurait laissés libres à bord des navires de guerre ! Cette terreur des équipages, dont nous voyons trois fois l’expression, fut-elle bien réelle, et l’amiral et ses officiers ne participèrent point à ce crime qui engloutit 1200 hommes à la fois ? Si le général Leclerc lui-même avait d’abord repoussé l’idée des noyades de Rochambeau, il est certain qu’on noyait au Cap avant cet effroyable événement : en envoyant ces infortunés à bord, c’était dire ce

  1. Mémoires, t. 2, p. 237 et 238.