Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cependant, c’est même alors que ce qu’il y a de grand et de noble dans notre nature brille de tout son éclat : c’est lorsqu’on supporte ces grandes calamités avec résignation, non par insensibilité, mais par générosité et par grandeur d’âme. Au reste, si les actions des hommes décident, comme on l’a dit, de la destinée de leur vie, il est impossible qu’un homme heureux (au sens que nous l’entendons) soit jamais misérable, car jamais il ne fera des actions odieuses et méprisables. Nous croyons, en effet, que l’homme véritablement vertueux et sage sait supporter avec dignité tous les revers de la fortune, et tire toujours le parti le plus avantageux de ce qui est à sa disposition : comme le grand capitaine emploie avec le plus de succès l’armée qui est actuellement sous ses ordres, comme l’habile cordonnier fait les meilleures chaussures avec le cuir qu’on lui donne, et ainsi des autres arts.

Si cela est vrai, il est impossible que l’homme heureux soit jamais misérable. Mais on ne pourra pas non plus le dire heureux, s’il tombe dans la calamité de Priam ; du moins ne serait-il ni variable, ni inconstant dans ses sentiments. Car les revers ordinaires n’altéreront pas facilement son bonheur : il faudra, pour cela, de nombreuses et de grandes infortunes. Et, d’un autre côté, il ne pourra pas redevenir heureux en peu de temps ; mais, en supposant qu’il retrouve le bonheur, ce ne sera que par une durée non interrompue de grandes et éclatantes prospérités.