Page:Aristote - Politique, Thurot, 1824.djvu/108

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même de la nature ; qu’enfin ce caractère se manifeste dans certains individus par l’utilité que les uns trouvent dans la servitude, elles autres dans l’exercice de l’autorité absolue ; qu’il est juste et, nécessaire que les uns obéissent, et que les autres aient le pouvoir que la nature leur a dévolu, et par conséquent qu’ils soient les maîtres. Mais s’ils font un mauvais usage de ce pouvoir, il en résulte un véritable dommage pour les uns et. pour les autres. Car ce qui est utile à la partie l’est au tout ; ce qui est avantageux pour l’ame l’est pour le corps ; or l’esclave est pour ainsi dire partie du maître ; c’est comme une partie animée du corps, mais qui en serait séparée.

21. C’est pour cela qu’il y a un avantage commun et une affection réciproque entre le maître elles esclaves, quand c’est la nature elle-même qui leur a assigné ces conditions diverses ; c’est tout le contraire lorsque la chose n’a pas lieu de cette manière, mais seulement en vertu de la loi, et par l’effet de la violence. Il est aussi évident, d’après cela, que l’autorité politique et celle du maître ne sont pas la même, et qu’en général toutes les espèces de pouvoir ne se ressemblent pas, comme quelques-uns le prétendent ; car l’une se rapporte aux esclaves par nature, et l’autre aux hommes libres (1). L’autorité domestique est monarchie,

(1) Sans doute il fallait toute l’autorité d’une coutume établie presque de temps immémorial, et chez tous les peuples, comme l’était celle de l’esclavage domestique, à l’époque où vivait Aris

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puisque toute famille est gouvernée par un seul ; mais l’autorité civile ou politique est celle qui gouverne des hommes libres et égaux.

22. Au reste, l’expression autorité du maître ne se dit pas d’une science, mais d’une condition ou manière d’être : il en est de même des mots esclavage et liberté. Il pourrait néanmoins y avoir une science, un talent du maître et du serviteur ; une science d’esclave, par exemple, comme celle que professait à Syracuse cet homme qui, moyennant un salaire convenu, prenait les jeunes esclaves chez lui, et leur enseignait le service de la maison (1). Il pourrait même y avoir encore des leçons de ce

tote pour qu’un esprit aussi étendu et aussi exercé que le sien pût s’égarer sur une pareille question. Quel esprit non prévenu, et non dégradé par les passions les plus perverses, peut y voir aujourd’hui la matière d’un doute ? À qui fera-t-on concevoir qu’un homme puisse, dans aucun cas, être la propriété d’un autre homme ? La religion, le bon sens et l’humanité s’accordent désormais à regarder tout partisan de l’esclavage domestique comme un fou furieux qui, par celle seule opinion, se déclare en état de guerre avec les autres hommes, et contre lequel on serait honteux d’employer aucune espèce d’argumentation.

(1) Ta ÈyxÛK/.i.a Svj.v.vri.y.v.-tj., littéralement, « les services qui « se suivent et s’enchaînent en cercle ; » par exemple, ceux d’un valet de chambre, depuis le lever du maître jusqu’à ce qu’il soit couché. Athénée (p. 262) fait mention d’une comédie de Phérécrate intitulée Acuî.cMâc/.sû.cç, « le précepteur ou profes « seur des valets ; » ce qui prouve que le service domestique était regardé chez les Grecs, à cette époque, comme une affaire importante.

genre, qui s’étendraient à bien d’autres objets, comme l’art de la cuisine, et les autres parties du service domestique. Car il y a des travaux plus considérés ou plus nécessaires les uns que les autres ; et, comme dit le proverbe, « il y a maître et maître, « il y a valet et valet (1). »

23. Toutefois ce ne sont là que des talents ou sciences d’esclaves ; celle du. maître consiste dans l’usage ou l’emploi qu’il fait de ses esclaves ; car c’est cet emploi qui le caractérise comme maître, et non la possession des personnes. Cette science-là n’a d’ailleurs rien de bien considérable ni de bien important ; car il lui suffit de savoir commander ce que l’esclave doit savoir exécuter. Aussi tous ceux qui peuvent se dispenser de prendre eux-mêmes cette peine, en donnent-ils la charge à un inspecteur ou délégué, tandis qu’eux-mêmes s’occupent du gouvernement de l’état, ou à l’étude de la philosophie. Quant à la science d’acquérir et de conserver sa fortune, laquelle diffère de ces deux autres ( celle du maître et celle, de l’esclave ), elle ressemble à la science du juste, ayant quelques rapports avec l’art de la guerre ou avec celui de la chasse. Voilà donc ce que j’avais à dire au sujet de l’esclave et du maître.

III. Mais considérons, en général, la propriété ou possession de quelque genre que ce soit, et

(1) C’est le sens d’un vers iambique du poète Philémon, dans une de ses comédies intitulée Us.yyMTiaç-hç, vers cité aussi dans le Lexique de Suidas, au mot Lifo

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