Page:Armaingaud - La Boétie, Montaigne et le Contr’un - Réponse à M. P. Bonnefon.djvu/14

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À tout le moins, très illustres Princes, magnanimes Seigneurs, vertueux gentilshommes, faites en sorte que ces tigres tant inhumains, que Dieu a par sa providence traîné et mis entre vos mains ne vous eschappent nullement : Et les tenez serrez, de sorte qu’ils ne nuisent à vos voisins : vous gardans en toute façon de leurs aguets et leurs embusches. Autrement, si quelcun de vos bons voisins venait quelque jour à périr pour avoir lasché ces léopards, son âme vous serait sans doute redemandée du Souverain. Que s’il vous en advenoit quelque mal en particulier vous seriez en risée aux peuples qui habitent autour de vous, estans allez quérir si loin des sangliers pour vous dissiper[1]. »

Quand on lit ainsi le morceau entier, l’aversion et la terreur inspirées à l’écrivain par « ce tigre », qu’il conseille aux Polonais de tuer « pour venger de leurs mains » ses forfaits et ceux de sa famille, apparaissent avec évidence.

Après cela, il paraît bien inutile de faire intervenir les avances faites dans le Réveille-Matin au duc de Guise. M. Bonnefon y voit la preuve que les huguenots ne craignaient pas le retour d’Henri ! Or, ils n’avaient recours au Guise que pour échapper au Valois, et, pour les décider à s’adresser au meurtrier de Coligny, il fallait que l’appréhension du Valois fût bien forte.

M. Bonnefon remarque avec raison que dans les fragments du Contr’un publiés par le Réveille-Matin dès le mois de mars 1574, l’auteur du dialogue ne s’astreint pas à transcrire textuellement ces fragments : « Il ne s’est pas fait faute d’introduire des traits particuliers dans la prose du Contr’un quand il le juge utile à sa thèse ». D’où il conclut : « si l’auteur avait dû s’attaquer à un personnage contemporain, il n’aurait pas hésité à le marquer de reproches précis, au lieu de l’accabler sous de vagues allusions aux quelles personne ne devait comprendre goutte ».

Vraiment la réponse est trop facile. Les publicistes du Réveille-Malin, qui nomment à chaque page les tyrans du jour, et Henri en particulier, ne se seraient fait assurément aucun scrupule de le désigner encore ici. Mais si l’auteur des remaniements du Contr’un et par conséquent du portrait est celui que je crois, — et ce sera l’objet de la seconde partie de cet article — il a nécessairement imposé un texte dans lequel Henri ne pouvait être nommé, puisque le texte entier du discours devait être publié sous le nom de la Boëtie. Il fallait écarter les précisions, de manière que l’on comprit en pouvant

  1. Vous dissiper… Vous perdre, vous détruire.