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ses dociles instruments. Ils sont « cinq », « six », qu’il a appelés auprès de lui, pour être communs aux biens de ses pilleries et « pour être, sous le grand tyran, tyranneaux eux-mêmes ». Il est impossible d’assimiler à ces complices de la tyrannie les oncles de Charles VI, princes du sang, frères de son père ou de sa mère, ayant chacun son royaume de Bourgogne, d’Anjou, de Berry. Ils ne gouvernent pas, ne tyrannisent pas pour le compte du roi et pour partager avec lui ; ils gouvernent pour eux-mêmes, en dehors de lui et contre lui ; ils le gouvernent ; ils le tyrannisent. Ils ne sont pas, comme dans le Contr’un, des favoris, « compagnons de ses plaisirs, pourvoyeurs de ses voluptés. » On ne peut dire d’eux « qu’il faut pour la société » (c’est-à-dire pour leur intérêt commun) « que le roi soit non seulement méchant de ses méchancetés, mais des leurs. »

Tous les caractères que le Contr’un attribue au règne du tyran, et qui s’adaptent avec une parfaite précision à Henri III et à ses mignons, sont des non-sens si on les applique à Charles VI et à ses oncles. « Cette interposition du nom du roi, dit Étienne Pasquier[1], n’était qu’un masque qui, non seulement ne profite au public, mais y nuit davantage, parce que les princes (d’Anjou, Bourgogne, Berry, Orléans) se donnent la main l’un à l’autre, s’en faisant croire comme ils voulaient pour ne pouvoir être contrôlés du roi ; et néanmoins donnaient ainsi plus de voie et franchise (facilités) à leurs actions, y employant l’autorité de son nom. »

Les grands-ducs qui tyrannisent sous le couvert du nom du roi n’ont rien de commun, non plus, avec « ces perdus », ces « abandonnés de Dieu » qui sont les complices du tyran du Contr’un, lesquels finissent eux-mêmes « par tant souffrir de sa tyrannie », qu’en les voyant ainsi « naquettant » le tyran (le flattant lui faisant servilement la cour) l’auteur prend en pitié leur grande sottise et les engage « à se regarder eux-mêmes, pour voir clairement que les villageois, les paysans qu’ils foulent aux pieds tant qu’ils peuvent, sont au prix d’eux fortunés et aucunement libres ». À qui fera-t-on croire qu’en

  1. Pasquier, Les Recherches de la France, édition in-folio des Œuvres, t. I, p. 516.