Page:Arnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 2.djvu/128

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comme un berger, qui du fond de sa cabane, appuyé sur sa houlette, et faisant raisonner son chalumeau, promène ses regards sur la vaste étendue des campagnes, je suis de l’œil la chasse féroce de l’ardente ambition ; je vois une meute nombreuse d’hommes bruyans, brisant les barrières des lois, franchissant les bornes de la justice, loups pour la rapine, renards pour la ruse, tantôt poursuivans, tantôt poursuivis, et tour-à-tour la proie l’un de l’autre, jusqu’à ce que le trépas, cet infatigable chasseur, vienne les engloutir tous dans leur dernier terrier.

Pourquoi tant de fatigues pour des triomphes si courts ? La fortune des riches, la gloire des héros, la majesté des rois, tout finit par « Ci-Gît. » Des peines à souffrir, des biens qu’il faut laisser, tel est l’inventaire exact de la vie, et la poussière est le terme de toutes les grandeurs de la terre. Si mes chants passent à la postérité, elle apprendra qu’il exista un homme, nourri parmi les courtisans, quoique né dans l’Angleterre, qui fit réflexion que la fortune pourrait bien arriver trop tard d’un jour ; qui ne s’est point amusé sur son lit de mort à arranger des projets de fortune et de vie ; et qui a pensé que la nécessité de mourir valait bien la peine de l’en distraire.

La jeunesse sans expérience, attirée par une lueur trompeuse, se précipite sur une foule de maux. Les années instruisent l’homme ; il se détrompe en vieillissant ; mais dès qu’il a trouvé l’art de vivre, les portes de la mort s’ouvrent.

J’entends la vieillesse insatiable crier sans cesse : « Encore des jours, encore des richesses, encore des plaisirs ; » il n’est plus de plaisirs quand le sentiment est éteint. Il ne suffit pas de posséder l’objet : pour en jouir, il faut des sens. Vainement nous nous fatiguons à tendre de nouveau, à rajuster l’arc usé dont la nature relâche et brise successivement toutes les cordes. Quel excès de folie ! Comme on voit les ombres s’allonger à mesure que le soleil s’abaisse, nos désirs croissent et s’étendent sans fin sur le soir de la vie.