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Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/123

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à moins qu’elles n’aient quelque raison particulière d’agir avec plus de force.

C’est encore par là qu’on peut reconnaître la différence du style simple et du style figuré, et pourquoi les mêmes pensées nous paraissent beaucoup plus vives quand elles sont exprimées par une figure que si elles étaient renfermées dans des expressions toutes simples, car cela vient de ce que les expressions figurées signifient, outre la chose principale, le mouvement et la passion de celui qui parle, et expriment ainsi l’une et l’autre idée dans l’esprit, au lieu que l’expression simple ne marque que la vérité toute nue.

Par exemple, si ce demi-vers de Virgile :

Usque adeone mori miserum est[1] ?

était exprimé simplement et sans figure, de cette sorte : Non est usque adeo mori miserum, il est sans doute qu’il aurait beaucoup moins de force ; et la raison en est, que la première expression signifie beaucoup plus que la seconde, car elle n’exprime pas seulement cette pensée, que la mort n’est pas un si grand mal que l’on croit ; mais elle représente de plus l’idée d’un homme qui se roidit contre la mort, et qui l’envisage sans effroi, image beaucoup plus vive que n’est la pensée même à laquelle elle est jointe. Ainsi, il n’est pas étrange qu’elle frappe davantage, parce que l’âme s’instruit par les images des vérités ; mais elle ne s’émeut guère que par l’image des mouvements :

Primum ipsiSi vis me flere, dolendum est
Primum ipsi tibi[2].

Mais, comme le style figuré signifie ordinairement, avec les choses, les mouvements que nous ressentons en les concevant et en parlant, on peut juger par là de l’usage que l’on en doit faire et quels sont les sujets auxquels il est propre. Il est visible qu’il est ridicule de s’en servir dans les matières purement spéculatives, que l’on regarde d’un œil tranquille, et qui ne produisent aucun

  1. Énéide, XII, 646.
  2. Horace, Art poétique, vers 102.