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d’épuisement où je suis me permet à peine de vous comprendre ?

— Jeune homme, il n’est pas plus difficile de dire la vérité que le mensonge, quand on n’a rien à cacher. Vos yeux n’ont point la généreuse franchise de la jeunesse ; ils révèlent l’amertume de vos sentiments. Dans quel but êtes-vous venu ici ?

— Bon vieillard, reprit William, cessez de tourmenter un malheureux voyageur qui n’a commis aucune mauvaise action ; au nom du Dieu que nous adorons tous deux, aidez-moi à sortir de la montagne.

— Relevez-vous, mon fils, je veux vous servir pour l’amour du souverain Maître ; jurez-moi seulement que vous n’êtes pas un espion envoyé par les Anglais pour surprendre la retraite de frères malheureux.

— Je le jure, répliqua William avec une sincérité qui porta la conviction dans l’esprit du vieillard.

— Cette fois vous dites vrai, je le vois, et, si vous n’êtes pas venu pour admirer la nature, ajouta le solitaire avec une certaine ironie, du moins vous n’êtes pas un traître.

Non, William n’avait encore jamais trahi, mais si sa conscience lui permettait de l’affirmer, elle lui reprochait tout bas d’avoir été bien près de le faire. Son âme était remplie de haine, et une nature comme la sienne était capable de descendre très bas sur la pente du mal, pour satisfaire ses mauvaises passions.

Le solitaire avait approché sa lanterne du visage du jeune homme pour le mieux examiner ; une faible rougeur parut tout à coup sur son visage, son regard s’éclaira d’une sorte de flamme, il passa la main sur son front comme s’il cherchait à réunir des souvenirs épars.

Pod ! fit-il d’une voix sourde.

Le jeune homme frissonna. Ce vieillard centenaire qui depuis tant d’années n’avait pas quitté sa solitude venait de l’appeler par son nom. Avait-il le don de se-