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Page:Arvor - Dent pour dent, scènes irlandaises, 1906.djvu/34

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parole d’affection, les mauvais traitements étaient son partage, aussi son existence ressemblait à une sorte de végétation maladive qu’un souffle eût brisée.

— Es-tu muette autant qu’idiote, reprit violemment son frère en la serrant au point de la broyer dans ses mains de fer.

— Je ne sais pas, répondit l’enfant affolée, ne comprenant rien à cette brutale, sinon qu’elle y était accoutumée.

— Tu ne sais pas si tu es muette ? ricana le jeune homme, mais pour sûr tu es idiote. Que faisais-tu ici ? réponds où je t’arrache la langue.

— J’étais venue jouer et je ne trouvais plus le chemin de la maison.

— Tu es allée mendier ; ce n’est pas assez de porter malheur à ta famille, tu veux la déshonorer, abominable enfant !

Tomy n’était pas méchant, mais il détestait Ketty ; en ce moment, il n’avait plus sa raison et il déversait injustement sur un être faible la rage qui dévorait son cœur.

— Je n’ai pas mendié, sanglota la petite fille. Frère, laisse-moi, je n’ai rien fait de mal.

— Tu es le mal lui-même, tu es la misère, tu es la fatalité, maudit soit le jour de ta naissance, maudite soit ta vie !

Tomy souleva de ses deux mains le pauvre être sans défense, il l’éleva à la hauteur de ses yeux.

Les rayons de la lune rendaient plus blafard encore le petit visage désolé de Ketty, de grosses larmes coulaient sur ses joues, ses membres grêles semblaient prêts à se disloquer sous la pression des doigts qui l’enserraient.

Cet aspect touchant, loin d’éveiller la pitié dans le cœur du jeune homme, porta à son comble l’exaspération de son esprit.