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JUGEMENT.


Fut en pièces taillé par les mains infidelles
Et rendit en ce lieu les ames immortelles,
Qui, pour donner au corps gage de leurs amours,
Leur donne tous les ans leur présence trois jours.
Ainsy le Ciel d’accord uni à vostre mere :
Ces deux (filz de la Terre) en ce lieu veulent faire
Vostre leçon, daignans en ce poinct s’approcher
Pour un jour leur miracle à voz yeux reprocher.
Doncques chacun de vous, pauvres payens, contemple,
Par l’effort de raison ou celuy de l’exemple.
Ce que jadis sentit le troupeau tant prisé
Des escrits où nature avoit thésaurisé :
Bien que du sens la taye eust occupé leur veiüe,
Qu’il y ait tousjours eu le voile de la nüe
Entr’eux et le soleil, leur marque, leur défaut
Vous fasse désirer de vous lever plus haut :
Haussez-vous sur les monts que le soleil redore,
Et vous prendrez plaisir de voir plus haut encore.
Ces hauts monts que je dis sont prophètes, qui font
Demeure sur les lieux où les nuages sont.
C’est le cayer sacré, le palais des lumières.
Les sciences, les arts ne sont que chambrières.
Suivez, aimez Sara, si vous avez dessein
D’estre filz d’Abraham retirez en son sein :
Là les corps des humains et les ames humaines.
Unis au grand triomphe aussy bien comme aux peines,
Se rejoindront ensemble et prendront en ce lieu
Dans leurs fronts honorez l’image du grand Dieu.
Resjouissez-vous donc, ô vous, ames célestes !
Car vous vous réfèrez de voz piteuses restes :
Resjouissez-vous donc, corps guéris du mespris !
Heureux, vous reprendrez voz plus heureux esprits.