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MISERES

S’affina par sept fois en exhalations,
705Comme l’on void dans l’air une masse visqueuse
Lever premièrement l’humeur contagieuse[1]
De l’haleine terrestre ; et quand auprès des Cieux
Le choix de ce venin est haussé, vicieux,[2]
Comm’ un astre il prend vie, et sa force secrette
710Espouvante chacun du regard d’un Comette.[3]
Le peuple, à gros amas aux places ameuté,
Bee douteusement sur la calamité[4]
Et dit : « Ce feu menace et promet à la terre,[5]


706. L’humeur plus vicieuse|| 710. D’un regard T.

  1. 706. Lever, élever, attirer à elle. Cf. I,289, Lettres : « M. le Mareschal prendra à plaisir de vous lever tout d’un coup de la servitude des prisons au commandement de 4000 hommes. »
  2. 708. Choix. la quintessence de ce venin.
  3. 710. Cornette. Ce mot fut d’abord féminin. Pourtant dès le douzième siècle, nous le trouvons masculin, conformément à l’étymologie, dans Benoît de Sainte-More (cité par Thomas). Au seizième siècle, comète est généralement masculin ; au dix-septième siècle on hésita sur le genre, et finalement le mot demeura féminin. Cf. Dict. de Trévoux : « On a douté pendant longtemps si ce mot était masculin ou féminin. Ménage dit que de son temps cette question fut fort agitée à la Cour durant l'apparition d’une comète, et que quelqu’un dit plaisamment qu’il fallait lui regarder sous la queue pour savoir si elle était mâle ou femelle. Aujourd’hui l’usage général fait ce mot féminin et il ne serait pas moins ridicule de dire le comète que le lune ou la soleil. » Littré cependant cite un exemple de ce mot employé comme masculin dans le Mercure de France d’octobre 1779.
  4. 712. Douteusement. avec une inquiétude mêlée de crainte. Cf. le v. 8, où douter a le sens de craindre.
  5. 713. Ce feu menace… D’Aubigné nous dit (I, 447, Lettres) qu’il avait composé un traité sur les comètes. « Cette dernière [Mlle de Belle-Ville me voulut servir d’amanuense (secrétaire) à escrire sous moy deus livres qui ont esté perdus. Le premier estoit…, l’autre des commettes, qu’elle me contraignit d’escrire sur l’explication d’un distique qui est aux Tragiques :
     
                           Ce comette menace, et promet à la terre
                           Lousche ou pasle, flambant, peste, famine ou guerre.

    Elle donc me pressa d’escrire de ces trois différences par les causes et non par les effects ou exemples desquels presque tous sont contentez. » Ces « trois différences » semblent en effet se rattacher à une croyance très précise, à laquelle nous trouvons une autre allusion dans ces vers de Du Bartas :

                           Que ne fais-tu profit, o frénétique France,
                           Des signes dont le Ciel t’appelle à repentance ?
                           Peux-tu voir d’un œil sec ce feu prodigieux
                           Qui nous rend chaque soir effroyables les cieux ?
                           Cet astre chevelu qui menace la terre
                           De peste, guerre, faim, trois pointes de tonnerre
                           Qu’en sa plus grand fureur Dieu foudroye sur nous ?