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PRINCES, L I V. II. 51


Mais en ce temps infect tant vaut la menterie

Et tant a pris de pied l’enorme flatterie,

Que le flatteur sans plus est tenu pour ami,
C'est crime envers les Grands que flatter à demi :
Et qui sont les flatteurs ? ceux qui portent les tiltres

De Conseillers d’Estat, ce ne sont plus belistres,
Gnatons du temps passe: en chaire les flatteurs

Portent le front, la grace, & le nom de prescheurs:

Le peuple ensorcelé, dans la chaire esmerveille

Ceux qui au temps passé chuchetoient à l’oreille,
Si que par fard nouveau, vrais prevaricateurs
I
ls blasment les pechez desquels ils sont autheurs,

Coulent le moucheron, et ont appris à rendre

La loüange cachee à l'ombre du reprendre.
Vn prescheur mercenaire, hypocrite effronté,
De qui Sathan avoit le savoir acheté,
A-il pas tant cerché fleurs & couleurs nouvelles,
Qu'il habille en martyr le bourreau des fidèles?

Il nomme bel exemple une tragique horreur,

Le massacre justice, un zele la fureur :
Il plaint un Roi sanglant, sur tout il le veut plaindre,

Qu’il ne put en vivant assez d’ames esteindre :
I
l faict vaillant celui qui n'a veu les hazards,
Studieux l'ennemi des lettres & des arts,
Chaste le malheureux, au nom duquel je tremble:

S’il lui faut reprocher les deux amours ensemble,

Et fidele et clement il a chanté le Roi,
Qui pour tuer les siens tua sa propre foi,
Voila comment le Diable est faict par eux un Ange,
Au chantre et au chanté vergongneuse loüange :