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Page:Aucassin et Nicolette, edité par Mario Roques, 1929.djvu/28

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XXIV
INTRODUCTION

pourrait admettre une inadvertance du scribe ; cependant le texte poétique lui-même parle, dans plusieurs endroits, pour l’alternance. Je n’en citerai qu’un : dans la laisse XV le guetteur entonne un chant ; il est tout naturel que ce chant débute par la première phrase mélodique. Les quatre vers purement narratifs qui précèdent seront donc chantés sur la période entière répétée (αβ αβ), et le cinquième vers s’enchaînera tout naturellement de nouveau avec la première phrase (α).

Cependant il est des cas où l’on peut être embarrassé ; ce sont ceux où l’ « ouvert » et le « clos » ne coïncident pas avec un simple repos du sens ou la fin d’une phrase du texte poétique. Prenons, par exemple, la laisse XI ; si nous admettons l’alternance stricte, le onzième vers « si con vos portés oïr » sera chanté sur le début de la mélodie, et le suivant, « Nicolete flors de lis », sur la seconde phrase. Il est évident que le vers 11 qui se rattache au précédent devrait avoir une phrase mélodique concluante, tandis que celle du début conviendrait au vers par lequel commence un nouveau passage. De même un peu plus loin : le vers 31 par lequel se termine l’épisode du pèlerin tombe sur la phrase musicale du début, tandis que le vers 32, qui ouvre toute une série d’appellations « Doce amie, flors de lis… », aurait la seconde mélodie. Cette manière de chanter paraît anormale. Pour concilier la structure musicale et celle du texte, il suffirait d’admettre que le chanteur a déjà dans le cours de la laisse, à certains endroits, chanté la seconde phrase mélodique deux fois de suite, lorsque le sens l’exigeait. Ainsi dans la laisse XI les vers 9 à 12 seraient chantés : αββα… De cette façon le passage lyrique commencerait tout naturellement par la première phrase. L’épisode du pèlerin se terminerait alors sur β, et le vers « Doce amie… » tomberait sur α. Des expériences semblables peuvent être faites dans d’autres laisses encore. L’hypothèse paraît hasardée, et pourtant ce procédé n’est pas tout à fait sans analogies ; on le rencontre, plus ou moins, dans certains lais. La première strophe du Lai de Notre Dame d’Ernoul le Vieux[1] est cons-

  1. A. Jeanroy, L. Brandin, P. Aubry, Lais et descorts français(Paris, 1901), 106.