Page:Audebrand - Derniers jours de la Bohème, Calmann-Lévy.djvu/87

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vait à Lemnos, dans l’atelier de Vulcain, ou aux bord de l’Etna. Eh bien, non : il n’était que dans une tabagie d’artistes.

Entendons-nous bien, ces joyeux garçons étaient, en effet, des artistes, et de toutes les gammes. Pour le moment, ils étaient obscurs. Rappelez- vous les simples soldats de 92 dont, dix ans plus tard, un ancien sous-lieutenant de Brienne devait faire des maréchaux et ne dédaignez jamais les commençants.

Très pauvres pour la plupart, mais se redressant dans une noble fierté comme le fait souvent la misère, ils s’entr’aidaient pour affronter le malheur du temps et, les dépenses essentielles du petit ménage assurées, ils économisaient cinquante ou soixante centimes pour se retrouver, le soir, entre amis, devant une chope ou une canette. Ainsi donc ils étaient, avant tout, réunis par la joie de vivre. Le front exempt de soucis et de peur, coiffés du chapeau pointu ou bossue qui rappelait l’ère des clubs, emmanchés de ces barbes de bouc, signes avant-coureurs de la conquête républicaine, que, vers 1832, Chateaubriand, sagace observateur, regardait déjà comme un avancement d’hoirie sur l’avenir, ils effrayaient encore la bourgeoisie et ils étaient, au fond, les plus inoffensifs des hommes, mais, en même temps, ils étaient aussi les fragments d’une opposition irréductible. On peut bien penser qu’ils ne pouvaient aimer l’Austerlitz de nuit du 2 dé-