Page:Audiat - Un poète abbé, Jacques Delille, 1738-1813.djvu/31

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et dans ce même style — académique — Louis Laya succédant, le 30 novembre 1817, au comte de Choiseul, représente « Delille, autre Amphion, marchant à ses côtés ». « Aux premiers accents de sa lyre, cette Grèce ensevelie sous des ruines va se relever ; ce grand corps sans vie va se ranimer. Les monts, les rochers, les antres verts vont revoir leurs demi-dieux. Les palais, les gymnases vont sortir de leurs décombres ; le précieux marbre de Paros, qui pave aujourd’hui la demeure d’un pacha stupide, va être rendu aux parvis des temples que les prêtres de Minerve, de Diane, de Bacchus, d’Apollon foulèrent encore de leurs brodequins dorés… Lorsque son pied commença à toucher cette poussière poétique formée des cendres des Eschyle, des Sophocle, des Euripide, des Pindare, il sentit couler ses larmes. « Je pleurais », dit-il. »

La correspondance secrète[1] de Mettra, donne de ce voyage en Turquie un motif plus prosaïque que le désir de voir les lieux chantés et habités par les poètes, une aventure amoureuse qui fit quelque bruit et où il joua un rôle ridicule. Bafoué, honni, chansonné, il fut enchanté de trouver l’occasion de s’éloigner pendant quelque temps. Et puis voyager avec un ami, avec l’ambassadeur de France à Constantinople, voir des pays charmants embellis par l’imagination des poètes, qu’on connaissait, qu’on admirait depuis l’enfance ; il n’en fallait pas plus pour décider Delille. Pendant son voyage, il écrit à ses amis des lettres qui sont aussitôt colportées, copiées, imprimées. De Constantinople il envoyait une lettre à Mme Devaine. C’était la femme d’un employé des finances, ami de Turgot et de Choiseul, qui fut plus tard conseiller d’état et académicien. « Notre voyage a été très heureux ; le vent nous a portés en cinq jours à Malte par la plus belle mer et sous le plus beau ciel du monde. » Puis il parle de la Grèce avec enthousiasme et dit ses impressions avec esprit. « La première île qu’on rencontre est Cérigo, si connue sous le nom de Cythère. Il faut convenir qu’elle répond mal à sa réputation… Cette île, si délicieuse dans la fable, n’est qu’un rocher aride. En vérité, on a très bien fait d’y placer le temple de l’amour.

  1. T. XVII, p. 238, 3 janvier 1785 ; voir Grimm, t. XI, p. 110