Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/115

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petites filles sagement assises chuchotent en me voyant passer et, lorsque je suis à quelque distance je les entends chanter :

    Où vas-tu belle boiteuse
        Mille enfants
        Mille enfants
    Où vas-tu belle boiteuse
        Mille enfants
           Charmants.

Et tout en continuant ma route, légère de cœur autant que de corps, je mêle ma voix à la leur pour le deuxième couplet :

    Je vais au bois céleste
        Mille enfants
        Mille enfants
    Je vais au bois céleste
        Mille enfants
          Charmants.

J’ai envie de chanter encore, de chanter à pleine voix, rien que pour moi seule, mais la nuit qui s’étend pour le repos commande le silence. Les petites filles se taisent et je fais comme elles.

Les dernières lueurs ont disparu du faîte des arbres. Une buée fine s’élève de la terre, et comme à un signal, les lumières du ciel apparaissent les unes après les autres.

Je vais toujours à grands pas. Pour ne pas troubler le silence je marche sur l’accotement et, derrière mes talons, je sens se redresser les herbes foulées comme si elles cherchaient à reconnaître celle qui passe à cette heure tardive. Des souffles doux me frôlent au visage, et des oiseaux de nuit rapides