Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/122

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me sentais incapable de quitter le cher oncle en fille ingrate. Brusquement je commençais. Sans ménagement aucun, j’annonçais ma volonté de vivre avec Valère Chatellier en dehors du mariage, j’en donnais les raisons, et j’avouais l’accord fait à ce sujet entre Valère, Firmin et moi.

Oncle meunier m’écoutait en silence, je sentais son bras trembler sous le mien et j’entendais les contractions de sa gorge qui refusait de laisser passer sa salive.

Il dit enfin :

— Tu abandonnerais les jumeaux ?

J’affirmai ma décision :

Il faut que je parte oncle meunier. J’aime Valère plus que les jumeaux, plus que Firmin, plus que moi même…

Une pudeur m’empêchait de tout dire et je me tus, car il ne me venait plus que des mots inutiles. Lui aussi avait une pudeur qui l’empêchait de se renseigner plus amplement. L’air embarrassé il disait :

— Au moins, tu n’es pas ?… Dis-moi, est-ce que ?…

Je songeais que la vérité valait mieux que tout et pour lui épargner la question qu’il ne savait comment poser je répondis avec franchise :

— Oui, oncle meunier, je suis sa femme.

Ce fut comme une catastrophe qui arrivait. Oncle meunier lâcha mon bras pour me faire face :

— Sa femme ! toi ? sa femme !

Et cet homme que j’avais toujours connu si doux leva le poing. Je ne reculai pas sous la menace. Quelque chose en moi se révoltait et grondait, et je me sentis capable de lever le poing aussi.