Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/148

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Je fais la grimace :

— Pouah ! ces œufs frais sont bien plus appétissants.

Il essaye de sourire et reprend :

— Nous avons bu des vins si vieux qu’il fallait les tenir longtemps sur la langue pour en connaître le goût. Il repousse le vin que je lui verse et réclame de l’eau.

Il y goûte à peine et l’éloigne en disant :

— Quand on a goûté aux liqueurs fortes, l’eau la plus pure vous semble méprisable.

Il bâille, se recule de la table et continue la conversation de la veille :

— Si le magasin était à moi, tu y trônerais comme une reine, et de jolies vendeuses mettraient des coussins sous tes pieds.

Je ris :

— Et ainsi, je serais comme une bête de luxe qu’on met à l’engrais dans le plus beau pâturage.

Il rit avec moi, sa main cherche la mienne et sa voix devient basse :

— Pardonne Annette, mais vois-tu après ces agapes, j’ai un tel désir de richesse que je prends peur de moi-même.

Je retiens sa main :

— Ne reste pas auprès de tes patrons, rentre au logis ton travail fini, c’est moi qui suis ton amie et cela jusqu’à la fin, quelque mal qu’il t’arrive en route.

— Je le sais, dit-il.

Et ses yeux pâles reprennent de la vivacité.

Sous l’amandier fleuri un mendiant s’arrête et regarde notre table. Je lui tends un verre de vin