Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/25

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La présence de Manine me fait moins faute depuis que Mme Lapierre vient passer ses après-midi avec moi.

Madame Lapierre est une jeune femme infirme, venue à la Haie quelques années plus tôt sur le conseil de mes parents qui l’ont connue à Paris. Sa maison n’est pas très éloignée de la nôtre, et en s’aidant de ses deux béquilles, elle réussit à faire le chemin sans trop de fatigue. Elle est toujours accompagnée de son petit garçon, qu’elle appelle Jean, un bambin de sept ans, si parfait de corps et de visage qu’il est difficile de lui comparer un autre enfant. J’en suis un peu jalouse pour nos jumeaux, que je trouve cependant d’une beauté surprenante.

Arrivée auprès de moi, Mme Lapierre jette ses béquilles à terre avec un geste de lassitude, comme si au lieu d’un soutien elles étaient pour elle un fardeau écrasant. Ce sont pourtant des béquilles bien tournées et faites d’un bois léger. Le petit Jean les ramasse et les pose en travers de ma voiture, et comme pour encourager sa mère à la patience, il lui dit :

— Lorsque je serai grand, maman, je t’en achèterai des tout en or.

Ces visites de Mme Lapierre déplaisaient fort à tante Rude, qui m’a tout de suite avertie que l’enfant était sans père et la mère sans mari.

Je ne vois rien de répréhensible à cela, comme a l’air de le penser tante Rude, et la compagnie de Mme Lapierre me devient de jour en jour plus agréable.

Manine est sûrement de mon avis, car aussitôt