Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/252

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Ma tête est comme emplie par les paroles du paysan : « Je l’ai bien reconnu malgré son bras en moins et sa figure blessée ».

Sa figure blessée ? Ce cache-nez si large est-il donc un rideau servant à dissimuler la blessure ? Valère blessé au visage, défiguré peut-être, n’ose pas se montrer à moi.

Devant cette idée qui m’obsède, tous les autres souvenirs s’effacent. Je n’aperçois plus les papillons bleus de Reine, ni le regard pénétrant d’oncle meunier. Et, même dans le fin visage de mon enfant, les rayonnantes prunelles si précieusement enchâssées pâlissent et s’éteignent.

Lasse de mon voyage trop précipité, je m’assieds auprès de la fenêtre et je guette sous les arbres l’arrivée de Valère. Dès qu’il apparaîtra, j’irai à sa rencontre. Je le supplierai de venir dans le logement de Manine. Et là, de mes deux mains, je déferai le cache-nez et découvrirai la chère figure blessée.

Je guette sans oser bouger, même pour prendre la nourriture que mon estomac réclame. Mais bientôt, épuisée de fatigue, de faim et d’attente je m’endors et je rêve.

Appuyée contre une haute fenêtre, dans une ville bâtie au pied d’une montagne, je vois passer des gens qui fuient en criant éperdument : « Famine, famine ! » Certains ne crient pas, mais leur bouche reste affreusement ouverte comme s’ils ne pouvaient plus la refermer à force d’avoir crié. Pourtant des troupeaux de bœufs descendent de la montagne et viennent d’eux-mêmes se placer sous le couteau du boucher qui les dépèce au mi-