Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/65

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J’évitais de le regarder et, de toute mon énergie, je retenais mes larmes ; mais, tout au fond de moi-même, une voix désolée pleurait comme si quelqu’un des miens eût été en danger de mort.

Angèle agenouillée sur une chaise basse nous confiait à la vierge Marie :

— Sainte mère, protégez vos enfants.

Pendant ce temps, Nicole et Nicolas vautrés, des pailles plein les mains, barraient la route à une douzaine de fourmis qui se dirigeaient obstinément vers le placard aux provisions.

Cependant il ne fallait pas compter rester sans rien faire ce jour-là. Tante Rude m’avait indiqué mon travail la veille au soir ainsi qu’elle le faisait toujours. Il s’agissait pour aujourd’hui de passer au crible une certaine quantité de blé destiné à la mouture du lendemain. Angèle dont la santé s’améliorait voulut m’aider, et Firmin fit de même. Pour les jumeaux ce fut une fête de pouvoir courir d’un bout à l’autre du grenier. Nicole moins agile que Nicolas trébuchait contre les poutres, ou sautait au beau milieu d’un tas de grain qu’elle éparpillait et duquel elle ne pouvait sortir sans l’aide de son frère, et c’était alors de tous deux des rires à n’en plus finir.

Angèle apportait autant d’ardeur que moi-même au travail, mais Firmin dont les forces semblaient épuisées remuait à peine son crible dans lequel ses larmes tombaient lourdes et pressées au point de mouiller le blé.

Il ne put tenir longtemps et fut obligé de s’étendre sur le plancher. Dans la crainte que tante Rude ne lui fît des reproches si elle le surprenait