Page:Audoux - Douce Lumiere.djvu/132

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Jamais plus l’étang ne les verra nager côte à côte, leurs mains se touchant. Que de fois ils en ont fait ainsi le tour. Elle ferme les yeux, avec l’espoir de toucher une main chaude et ferme. Mais ce qu’elle touche est dur et froid. Ce sont des petits glaçons qui se forment un peu partout et qu’elle disperse au passage. Oui, il ferait bon mourir aujourd’hui. Elle ouvre ses grands yeux. Elle veut regarder la mort en face. Son imagination, jamais à court, la lui montre venant à elle, vêtue d’un ample manteau de velours blanc et riant de toutes ses dents.

Voici l’endroit où son père s’est noyé. Elle regarde l’inextricable fouillis de roseaux entremêlés. Ah ! Il avait bien choisi sa place ! Et, pour la première fois, elle parle à ce père qu’elle n’a pas connu :

— Écoutez, écoutez père ! Recevez-moi. Ainsi que vous, je ne veux pas vivre.

Et les yeux fermés, les bras repliés et les pieds joints, elle se laisse couler.

Mais quelqu’un l’a saisie à l’épaule et la ramène à la surface. C’est sûrement son père qui ne veut pas d’elle. Il est heureux auprès de sa femme. Ne l’a-t-il pas déjà préférée à son enfant ? Allons, elle nagera encore, elle nagera jusqu’à ce que le froid de l’eau ait gagné son cœur. D’une brasse, elle