Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/74

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Sa lèvre se retroussait seulement par le milieu et ne laissait voir que deux dents. Et comme je me penchais toute étonnée sur la grande tranchée, elle me dit :

— Ça ! c’est la fosse commune.

Sa voix résonna avec des vibrations si profondes et si étendues qu’elle parut sortir de terre pour aller heurter les caveaux d’alentour et les tombes toutes fleuries.

Les croque-morts se dépêchaient ; car un autre convoi s’avançait aussi vers la fosse commune.

Ils prirent vivement Sandrine et la déposèrent auprès de deux petites boîtes d’enfants qu’on avait mises bout à bout pour ne pas perdre de place. Et aussitôt la sauterelle s’éloigna par le fond de l’allée, où deux de ses pareilles la devançaient.

Jacques ne pleurait pas. Il suivait docilement le patron et sa femme. Mais, avant de sortir du cimetière, il se retourna vers les érables blancs, et ses lèvres remuèrent comme s’il leur parlait.

Moi aussi, je me retournai vers les érables blancs. Je voulais revoir leur feuillage grêle, plus fin que de la dentelle et qui semblait vouloir s’envoler au vent. Puis mon regard s’abaissa pour faire le tour des immenses carrés de tombes qui brillaient sous le soleil, et lorsque je repris ma place auprès de Bergeounette, elle disait en respirant largement :

— Aujourd’hui, le cimetière est beau comme un paradis.