Page:Auger - Mélanges philosophiques et littéraires, tome 1.djvu/45

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l’élèvent au-dessus de la matière, et l’affranchissent du honteux empire des sens ; cet élargissement du cœur, comme dit Fénelon, du cœur qui, devenu trop vaste pour les intérêts étroits de la famille et du pays, embrasse tous les hommes dans un même amour, dans une même charité ; enfin, cette élévation et cette étendue de la pensée, qui, regardant le monde comme un point et les siècles comme un instant, ne se trouve à l’aise que dans les immensités de l’espace et de la durée ? Ce sont ces facultés, ces propriétés nouvelles de l’âme et de l’intelligence, qui, passant dans le génie, donnent aux arts du monde moderne un avantage incontesté sur les arts de l’ancien monde. J’en veux citer un seul exemple. Bossuet n’avoit peut-être pas plus que Démosthènes le génie de l’éloquence ; mais qui oseroit dire que Bossuet, en parlant de Dieu et de l’homme, de ce monde et de l’autre vie, de la mort et de l’immortalité, n’est pas un orateur plus éloquent que Démosthènes, je ne dis pas seulement lorsqu’il dispute une couronne d’or à son rival Eschine, mais même quand il excite le zèle patriotique de ses concitoyens contre Philippe, prêt à les asservir ? Ces deux grands hommes, comparés dans les sujets qu’ils traitent et dans les impressions qu’ils produisent, me paroissent différer de toute la différence qui existe entre l’Attique et l’univers, entre une olympiade et l’éternité.

En comparant le génie moderne, le génie chrétien avec lui-même, je vois encore éclater dans tous les arts cette supériorité des œuvres que la Religion a inspirées, sur celles dont les sujets ont été puisés à