Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/18

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Nous verrons ensuite la clarté jaillir de ces ténèbres. Ce ne sera guère, au commencement du XIXe siècle, que cette lumière tremblante de l’avant-l’aube où l’œil et l’esprit sont sujets encore à mille erreurs, et nous nous souviendrons que cette minute émouvante, mais trouble, n’est pas bien ancienne. Pouvons-nous même nous assurer que nous l’ayons pleinement, définitivement dépassée ? Que de problèmes encore, qui attendent leur solution ! Qu’est-ce que cent années pour la constitution d’une science aussi complexe que l’archéologie gothique ? Songez au nombre vraiment effrayant de documents de toutes sortes dont elle exige l’étude. Songez aux mille causes de confusion qui gêneront les savants dès leurs premiers efforts. Longtemps le mirage romantique, d’une part, et d’autre part le préjugé pseudo-classique compromettront les recherches les plus sincères. Le moyen âge sera comme un champ de bataille où deux doctrines contraires et irréconciliables prétendront triompher l’une de l’autre, et il s’agira bien moins, dans de telles polémiques, du passé que du présent et même de l’avenir. C’est l’ère des grands systèmes fragilement échafaudés, des synthèses prématurées. On ne se doute pas encore des vrais éléments de la question, ni des innombrables problèmes particuliers entre lesquels se décompose le problème général ; on prétend le résoudre en quelques pages passionnées.

Plus tard, quand avec plus de connaissance on aura acquis plus de prudence, on tombera dans l’excès contraire. Période qu’hier encore nous hésitions à franchir ; les monographies, sur l’histoire iconographique de tel saint, sur tel monument, sur tel détail d’architecture ou de décoration, se multipliaient, et la science, qui végétait naguère dans l’indigence, risquait maintenant de s’égarer, de perdre le sens de ses lignes directrices dans le prodigieux amas de documents dont elle s’encombrait. Non que tous ces travaux ne fussent en eux-mêmes très utiles ; ils constituaient les pierres d’attente du monument scientifique. Mais enfin, ce monument, il fallait le construire.

C’est ce qu’on est en train de faire. Des œuvres comme celles de M. Émile Mâle, de qui les livres sur l’Art religieux en France, au XIIIe siècle et à la fin du moyen âge, sont deux grands livres, signalent l’inauguration de la période synthétique. Synthèse : reconstruction. Une infinité de travaux jusqu’à cette heure épars prennent corps et, en recomposant l’antique ensemble, lui rendent la vie. Même des édifices plusieurs fois mutilés sont restitués, idéalement du moins, dans leur ancienne beauté. On peut dire que par là la science a conjuré la fureur des