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Il ne pense pas leur être infidèle en admirant à l’égal de leurs plus grands chefs-d’œuvre ceux de nos artistes gothiques.

Témoignage d’une valeur unique, et vraiment symbolique. L’attitude de Rodin, son « changement », illustre d’un glorieux exemple et résume en toutes ses nuances l’histoire entière de la pensée gothique dans la pensée moderne.

Tant la discipline de l’École avait imposé aux hommes de sa génération la religion exclusive de l’art dit classique, un Rodin put passer, dans sa jeunesse, devant les œuvres romanes et gothiques, — comme, du reste, devant les œuvres hindoues et chinoises, persanes et cambodgiennes, — sans les voir. Ou, s’il les aperçut, ses premiers regards leur furent hostiles, dédaigneux : il n’y avait que Phidias et Michel-Ange, il n’y avait que le nu ; ces formes vêtues étaient autant de démentis à l’art vrai ; il n’y avait que le mouvement, et ces formes s’obstinaient à l’état statique… Quant à la structure architecturale des monuments, elle était « triste » ou « excessive », du reste étrangère, croyait l’artiste, à ses préoccupations professionnelles.

On le verra, à mesure qu’il pénètre plus profondément dans les secrets de la nature, élargir sa pensée et, simplifiant à la fois et grandissant son exécution, comprendre que la sculpture est seulement un mode de l’architecture, que l’art vrai consiste, non pas dans le mouvement, mais dans la justesse des plans et dans la perfection du modelé, enfin que la draperie peut être un élément de beauté. Alors il reviendra sur des erreurs que l’éducation, le milieu, l’instant lui avaient imposées, et n’hésitera pas à confesser qu’il regrette de n’avoir pas fait ses études premières devant les figures sculptées aux voussures de nos Cathédrales.

C’est à mettre en pleine lumière cet exemple et cette leçon, formulés par l’artiste lui-même dans ce livre, que nous tendons ici, et nous ne les avons préalablement précisés que pour préparer le lecteur à bien saisir l’intérêt d’une telle démonstration, en quelque sorte, pratique, s’ajoutant à la démonstration théorique des archéologues et des historiens.

Quant à celle-ci, les savants trouveront sans doute incomplet le résumé que nous en présentons. Le plan de cette étude ne comportait pas des vues approfondies, pour lesquelles nous ne faisons point difficulté de convenir que nous n’étions pas préparé. L’archéologie du moyen âge, encore imprécisément définie en bien des points, est pleine de difficultés très délicates devant lesquelles les spécialistes les plus éminents hésitent souvent, se réservent et sont parfois contraints