Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/414

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l’homme a créée pour son Dieu. Est-elle moins belle que la forêt véritable, animée de moins de pensées, peuplée de moins de larves atroces et de moins d’esprits ?

Et vous, gargouilles, n’êtes-vous pas sorties du cerveau des sculpteurs, revenus dans la Cathédrale, après le coucher du soleil, pour y prendre le conseil de la nuit et y rechercher le souvenir de quelque horrible rêve ?

J’aspire à une confirmation nouvelle des grandeurs de l’âme gothique.


On aurait l’impression d’une Tour de Babel, si dans cette apparente confusion, tout d’un coup, des architectures ne surgissaient de la nuit, si l’ombre elle-même n’était organisée… Le moment est là sans parole et sans voix.


Des colonnes toutes noires autour du chœur : c’est la pierre en prière : trombe qui s’élève à Dieu.


O Nuit ! tu es plus grande ici que partout ailleurs. C’est de n’être éclairé qu’à demi que me vient l’épouvante. Des éclairages incomplets découpent le monument en tronçons, et ces lueurs me disent les frémissements d’orgueil des Titans qui ont édifié la Cathédrale. Priaient-ils ? ou créaient-ils ?

O génie de l’homme, je t’implore ! Reste avec nous, dieu des reflets !


Nous avons vu ce que l’œil humain n’avait point vu encore, ce qu’il lui est, peut-être, défendu de voir… Orphée et Eurydice craignaient de ne plus pouvoir sortir, les bateliers ne venant pas les chercher dans ces ténèbres terribles… Nous marchions seuls dans la Nuit. Nous étions dans les gorges du Tarn, nous allions seuls dans une grande forêt. Un monde entier était dans cette Nuit que les Titans nous avaient préparée.


Un cierge brûle : petit point de lumière. Pour l’atteindre il faut enjamber des masses lourdes d’ombre, où je frôle des lueurs mortes, des licornes, des monstres, des visions.

Le Penseur aurait été au diapason dans cette crypte ; cette ombre immense l’aurait fortifié.