Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/42

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Ici s’impose le point de vue artistique, — auquel il est grand temps de venir, puisque c’est proprement le nôtre. Il était toutefois impossible de le séparer absolument de la pensée mystique et de la pensée sociale, dont l’art, au moyen âge, est le docile interprète. Mais nous n’associerons plus guère à l’œuvre d’art que la pensée mystique, car c’est surtout, sinon exclusivement, en elle que l’architecte et le sculpteur trouvent leur thème et leur règle, puisqu’elle impose à tout, durant les siècles romans et gothiques, et même à la société civile qu’elle organise, le caractère religieux.

La religion, en effet, emploie l’art. Cette formule, qui marque des relations de maîtresse et de serviteur, est rigoureusement juste, d’abord. Le serviteur, du reste, ne se plaint pas de sa servitude. Ce ne serait pas assez de dire qu’il l’accepte ; il n’imagine pas et il ne pourrait pas imaginer, à son profit, une autre condition.

Toutes les directions humaines, au moyen âge, la philosophie et la science comme la théologie, n’ont qu’un but : « le Royaume de Dieu ». Comment donc l’art ferait-il exception à la loi universelle ? Mais comment pourrait-il mieux faire, s’il se soumet à cette loi, comment pourrait-il faire autrement que de s’en remettre au conseil, à l’infaillible autorité de ceux que Dieu même a commis au soin de conserver la doctrine dans son intégrité et de la communiquer au monde, quand, surtout, c’est précisément cette doctrine que l’art se propose de rendre sensible et de glorifier ? — Cette parfaite obéissance de l’artiste au prêtre n’est pas spéciale à la religion chrétienne. Elle se rencontre au début de toutes les religions, parce qu’elle est selon l’ordre et la logique, selon le bon sens. Nous la retrouverions en Égypte et en Grèce comme à Rome et à Chartres. Tant que les fidèles d’un culte ont le sentiment de l’importance du dogme, ils lui sacrifient tout, ils règlent et modèlent sur lui la vie entière. L’obéissance de l’artiste ne tarde pas à se nuancer, à se relâcher, dans le développement de toutes les civilisations ; c’est que la foi est atteinte. Elle est mortellement blessée quand les artistes, sans toutefois dénouer leur serment de fidélité, se constituent, à côté des prêtres, une vie toujours plus indépendante : le jour ne tardera pas à venir, fatal à la religion et dommageable à l’art, quoi qu’on en ait dit, où la séparation entre elle et lui se sera faite, irréparablement.

C’est donc l’esprit religieux qui règne, d’abord, seul. L’art n’apparaît même, sous le régime chrétien, qu’à une date relativement tardive, et seulement en vertu du tacite décret qui l’a chargé de rendre sensible aux yeux des illettrés, incapables