Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/579

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de réalité ; le voluptueux est en excès. — La vertu de la forme est plus sévère, plus tranquille, normale comme les cieux.

Il n’y a pas de dureté dans le marbre grec, ce patron des patrons. En remplissant les creux, en adoucissant ces saillies inutiles, gênantes, puisque l’atmosphère éternelle finirait toujours par les user, l’artiste grec est parvenu à cette forme qui participe à l’ambiance, à cette atmosphère elle-même. Il travaillait avec une ardeur fiévreuse, mais lucide, et ne se laissait pas entraîner à trahir la nature par le creux, le pauvre, le froid. Ainsi a-t-il réalisé cette œuvre d’immortalité que l’artiste moderne découvre, comprend, à force d’étude et de patience, vingt ans après l’avoir vue pour la première fois : et alors il peut, lui aussi, défier le marbre et dédier son œuvre aux poètes.


Louvre. — La forme du nu divin ! Mes souvenirs, avec un respect voluptueux, retournent sans cesse à la Vénus de Milo, nourrice de mon intelligence.


C’est la perfection de ces membres polis qui me revient à l’esprit quand je pense à ces vastes salles ornées de ces précieux marbres. Il y avait là l’empreinte sacrée du temple ; elle persiste. J’ai connu là cette forme auguste que je vois au nu, je me suis épuré avec elle, elle a rempli ma vie, mon âme, et mon art qui sera la dernière ressource de mon âme, ma dernière pensée.

Le modelé est une puissance ravie par l’étude à la loi des effets du soleil. Ainsi animée, cette puissance participe à la vie, s’insinue dans l’œuvre comme le sang pour y faire circuler la beauté.

Ce n’est pas là une étude morte, que l’on puisse abandonner et reprendre à volonté. Quand la tradition est une fois perdue, c’est pour longtemps : nous en savons quelque chose, nous que l’anarchie actuelle épouvante, nous qui voyons les chefs-d’œuvre tomber sous la pioche des imbéciles et que tyrannise la majorité ignorante.

… Mais les ignorants n’ont-ils pas droit à la vie ? N’ont-ils pas, même,