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l’Île-de-France, elles n’en retiennent que le goût ornemental[1]. » — (Il se peut toutefois que, dans l’invention technique du procédé de construction, la Normandie ait devancé l’Île-de-France.)

Le principe matériel de ce système est la croisée d’ogives, « armature d’arcs diagonaux qui s’entre-croisent à la clef ; elle a pour fonction de soutenir une voûte… Cette armature est à la fois saillante et indépendante. On la construit d’abord : puis, sur ses reins, comme sur des cintres permanents, on pose les voûtins, qui n’ont avec elle aucune liaison ; ils ne font qu’y reposer. La voûte gothique est donc éminemment élastique, ce qui est une garantie de solidité ; en cas de tassement, elle se déformera sans se rompre, tandis que la voûte romane est une concrétion dont l’homogénéité garantit seule la solidité[2]. »

Deux conséquences de ce principe déterminent des effets considérables au point de vue artistique.

C’est d’abord l’emploi, incomparablement plus fréquent qu’il n’avait été jusqu’alors, de la verticale, et c’est en second lieu l’évidement des constructions.

La direction ascensionnelle de tout l’édifice lui donne un caractère merveilleux de légèreté aérienne. Quel dut être l’émoi des foules devant la première grande église authentiquement gothique ! Cette masse énorme de pierres, plus solide que la massive cathédrale romane, semble à peine tenir à la terre et son audace étonne. Elle est dans le ciel dès la voûte, et ses clochers l’élèvent plus haut encore, beaucoup plus haut.

Mais, avant même de dépasser par sa stature la cathédrale romane, la cathédrale gothique semble aspirer l’air pour prendre son élan. Elle n’a pas besoin de murs, s’étant ménagé d’autres supports, la pile et l’arc-boutant, qui, eux-mêmes matières d’art et de beauté, dégagent le monument proprement dit et permettent aux voûtes de s’élancer au-dessus des hautes nefs.

On comprend que le prodige d’un tel résultat ait passionné le monde pendant trois siècles. Triomphe de l’architecte, ce système créait, par les seules ressources architecturales, un art si complet qu’on pouvait lui sacrifier tous les autres arts, sans regret, s’il l’exigeait. Les récits qu’on nous fait de l’enthousiaste concours de toutes les classes de la société à l’édification de Chartres ou d’Amiens, par exemple, ne nous étonnent pas. C’est son âme même que le XIIIe siècle projette

  1. Adrien Mithouard, L’Art gothique et l’Art impressionniste.
  2. Enlart, op. laud.