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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/180

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histoire de saint augustin.

Vie et les Mœurs de son clergé : c’est une peinture de l’esprit et des habitudes de la communauté ; le saint évêque ne crut pas devoir taire la faute de Janvier. Dans le premier sermon prononcé avant l’Épiphanie, il déclara au peuple que, voulant laisser à ses ecclésiastiques le choix du genre de vie, il leur permettait de reprendre leur liberté ; l’évêque ajoutait qu’après l’Épiphanie, il informerait le peuple des diverses décisions qui seraient prises. Au temps marqué, Augustin, dans un second sermon, annonça que tous les ecclésiastiques de sa communauté voulaient continuer à vivre comme les premiers chrétiens à Jérusalem, et qu’ainsi donc, parmi eux, la loi de la pauvreté serait sévèrement maintenue. L’évêque devait effacer du nombre des clercs le possesseur d’un bien quelconque. « Celui que j’aurais condamné de la sorte, disait Augustin, qu’il en appelle à mille conciles contre mon jugement, qu’il et aille, s’il veut, au delà des mers porter ses plaintes contre moi ; quoi qu’il fasse, j’espère de la divine assistance qu’il ne sera point reçu comme ecclésiastique partout où j’aurai le pouvoir d’évêque. Ils ont tous souscrit de bon cœur à la règle que j’ai établie ; j’attends de la puissance et de la miséricorde de Dieu qu’ils s’y conformeront avec une entière fidélité. » En terminant son discours, Augustin fait sentir combien il est dangereux de médire des serviteurs de Dieu ; c’est ainsi qu’il appelle les prêtres. Les calomnies ajouteront aux futures récompenses des serviteurs de Dieu, mais quel châtiment sera réservé aux calomniateurs ! « Nous ne voulons pas profiter de votre malheur, dit Augustin aux fidèles, nous ne voulons pas avoir de grandes récompenses aux dépens de votre salut ; puissions-nous n’obtenir qu’une moindre gloire dans le royaume de Dieu, et vous y avoir pour compagnons ! »

On retrouve toute l’heureuse simplicité des mœurs des premiers âges de l’Église, dans cette manière de rendre compte au peuple de la conduite du clergé. Cela est bien touchant et bien chrétien. L’évêque informait le peuple de toute chose : quand un nouveau prêtre entrait dans la communauté, le peuple le, savait ; si ce prêtre était de naissance illustre, Augustin s’empressait d’annoncer que le nouveau venu était entré pauvre dans la vie commune de la maison épiscopale. Les deux sermons cités plus haut nous font assister aux plus intimes détails de la vie ecclésiastique à Hippone. Ici, nous voyons le prêtre Leporius qui avait des biens, mais qui s’était hâté d’en disposer dans des vues de charité chrétienne : là, c’est le prêtre Barnabé qu’on accusait d’avoir acheté une terre et fait des dettes pendant qu’il était économe de la demeure épiscopale ; le diacre Sévère, qui avait perdu la vue sans perdre pour cela la lumière intérieure et spirituelle, eut le désir d’appeler de loin près de lui sa mère et sa sœur ; il acheta pour elles une maison qui fut payée, non pas avec son argent, mais avec de pieuses générosités. Il paraît que la mère et la sœur de Sévère n’arrivèrent point ; Augustin dit au peuple que Sévère s’en est remis à lui pour disposer de cette maison ; il parle aussi de quelques pièces de terre que celui-ci possédait dans son pays, et du saint usage que Sévère voulait en faire. Un diacre, avant d’entrer dans la communauté, avait acheté, du fruit de son travail, quelques esclaves : « Ce diacre, dit Augustin au peuple, va mettre aujourd’hui ses esclaves en liberté devant vous, par l’autorité de l’évêque. »

Entre le clergé et le peuple catholique d’Hippone, tout se passait en famille, comme on vient de le voir ; cette surveillance exercée par les fidèles sur chaque membre du corps clérical, cette habitude de contrôle, qui prenait sa raison dans le sentiment des intérêts religieux, se produisaient sans inconvénient au milieu d’un peuple tendrement et profondément dévoué à son évêque ; mais, en d’autres situations, cette immixtion dans les affaires ecclésiastiques pouvait amener des désordres ; et c’était là un des vices de l’organisation de l’Église africaine. Le peuple regardait Augustin comme le dépositaire de sa confiance : le grand évêque ne craignait pas de descendre aux plus minutieuses explications. Il allait au-devant de tout, ne cachait rien, et ses comptes rendus servaient toujours à faire éclater sa droiture. Rien de plus humble que la table d’Augustin et de ses compagnons : des herbes et des légumes composaient leur repas ; on buvait du vin, mais toujours avec modération[1]. On ser-

  1. C’est ici le lieu de dire un mot d’un passage des Confession saint Augustin qui a été fort diversement entendu. Au livre x, chapitre 31 des Confessions, saint Augustin dit avec son humilité accoutumée : Ebrietas longe est a me : misereberis ne appropinquet mihi Crapula autem nonnunquam surrepit servo tuo : misereberis ut longe fiat a me. Par une interprétation inexacte de crapula, Pierre, dans un ouvrage publié à Utrecht, en 1689, crut pouvoir avancer que le saint docteur buvait quelquefois une assez grande quantité de vin, mais qu’il avait la tête forte pour le porter, et que jamais il n’en perdait l’usage de la raison. Une telle assertion révolta