Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/193

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d’eux qu’après que la baleine l’eût vomi, ainsi la divine parole adressée aux nations ne leur est parvenue qu’après la résurrection du Christ.

35. Le prophète se dressa une tente et s’assit en face de Ninive en attendant les desseins de Dieu sur la ville : par là il figurait autre chose, le peuple charnel d’Israël. Ce peuple, en effet, s’attristait aussi sur le salut des Ninivites, c’est-à-dire sur la rédemption et la délivrance des nations, du milieu desquelles le Christ est venu appeler non les justes, mais les pécheurs à la pénitence[1]. L’ombrage de la citrouille sur la tête de Jonas représentait les promesses on même les bienfaits de l’Ancien Testament, qui étaient, comme dit l’Apôtre, une ombre des choses futures (2), et servaient de défense, dans la terre de promission, contre les ardeurs des maux du temps. Ce ver du matin qui rongea et fit sécher la citrouille, c’est encore le Christ lui-même dont la bouche, ayant répandu au loin l’Évangile, a fait sécher et disparaître toutes ces figures et ces ombres du peuple d’Israël. Maintenant ce peuple, après avoir perdu son royaume de Jérusalem, son sacerdoce, son sacrifice, toutes ces ombres de l’avenir, est dispersé à travers la terre et se consume dans le feu de la tribulation, comme Jonas sous les feux du soleilErreur de référence : Balise fermante </ref> manquante pour la balise <ref>, et sa douleur est grande : et cependant Dieu s’occupe plus du salut des nations et de ceux qui font pénitence que de la douleur du prophète et de l’ombre qu’il aimait.

36. Que les païens rient encore, et, en voyant le Christ figuré par un ver, que leur superbe faconde tourne en dérision cette interprétation d’un mystère prophétique, pourvu toutefois que ce ver mystérieux les consume insensiblement pour en faire des hommes nouveaux. Car c’est d’eux qu’Isaïe a prophétisé, lorsque le Seigneur a dit par sa bouche : Ecoutez-moi, a mon peuple, vous qui connaissez la justice, « et qui portez ma loi dans vos cœurs : ne craignez pas les reproches des hommes, ne vous laissez pas abattre par leurs calomnies, et ne tenez pas grand compte de leurs mépris. Ils seront consumés par le temps comme un vêtement, et seront mangés par la teigne comme la laine ; mais ma justice demeure éternellement[2]. » Quant à nous, reconnaissons le Christ dans le ver du matin, parce que dans le psaume intitulé : Pour le secours du matin[3], il a daigné lui-même s’appeler de ce nom : « Je suis un ver, dit-il, et non pas un homme ; je suis l’opprobre des hommes et le mépris du peuple. » Cet opprobre est de ceux qu’Isaïe nous recommande de ne pas craindre « Ne craignez pas les opprobres des hommes. » Ils sont mangés par ce ver comme par la teigne, ceux qui sous sa dent évangélique s’étonnent que leur nombre diminue de jour en jour. Reconnaissons ce ver, et, pour le salut que Dieu nous a promis, supportons les opprobres de ce monde. Le Christ est un ver par son abaissement sous un vêtement de chair ; peut-être aussi parce qu’il est né d’une vierge ; car le ver, quoiqu’il soit le produit de la chair ou de n’importe quelle chose terrestre, ne doit sa naissance à aucune sorte d’union. Le Christ est le ver du matin parce qu’il est ressuscité au point du jour. Cette citrouille dont l’ombre couvrit le front du prophète pouvait sécher sans qu’aucun ver la touchât. Et si Dieu avait besoin d’un ver pour cela, pourquoi dire un ver du matin, si ce n’est pour faire reconnaître sous cette figure celui qui chante Pour le secours du matin : « Mais moi je suis un ver et non pas un homme ? »

37. Quoi de plus clair et de plus accompli que cette prophétie ? Si l’on s’est moqué de ce ver pendant qu’il était pendu à une croix, comme il est écrit dans le même psaume : « Ils m’ont outragé dans leurs paroles, et ils ont hoché la tête. Il a espéré en Dieu, qu’il le délivre ; que Dieu le sauve s’il veut de lui ; » si on s’en est moqué pendant que s’accomplissaient ces paroles du même psaume : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Ils m’ont regardé et considéré ; ils se sont partagé mes vêtements et ont jeté ma robe au sort ; » et ici la prédiction de l’Ancien Testament est aussi claire que le récit même de l’Évangile ; si, dis-je, on a raillé ce ver en cet état d’humiliation, le raillera-t-on encore quand nous assistons à l’accomplissement de la suite de ce même psaume : « Tous les pays de la terre se souviendront du Seigneur et se convertiront à lui ; et toutes les nations l’adoreront ; parce que la souveraineté est au Seigneur et qu’il dominera sur tous les peuples[4]. » C’est ainsi que les Ninivites se souvinrent du Seigneur et se convertirent à lui. Israël s’affligeait de ce salut des nations par la pénitence, représenté dans Jonas, comme maintenant il s’afflige privé

  1. Luc, V, 32. – 2. Col. II, 17.
  2. Isaïe LI, 7, 8.
  3. Ps. XXI.
  4. Ci-dessus, lett. XC et XCI, pag.