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TRAITÉ DU LIBRE ARBITRE

CET OUVRAGE COMPREND TROIS QUESTIONS DE HAUTE IMPORTANCE. PREMIÈREMENT, D’OÙ VIENT LE MAL ? SECONDEMENT, QUI A CRÉÉ LE LIBRE ARBITRE, PRINCIPE DU MAL ? TROISIÈMEMENT, ÉTAIT-IL CONVENABLE QUE DIEU CRÉÂT LE LIBRE ARBITRE ? CHACUNE DE CES QUESTIONS FOURNIT LA MATIÈRE D’UN LIVRE SPÉCIAL[1].


LIVRE PREMIER.

L’auteur pose d’abord la question de l’Origine du Mal ; puis il explique en quoi consiste la Malice d’un acte coupable ; il montre ensuite que les actes mauvais procèdent du Libre Arbitre ou de la libre détermination de la volonté humaine, parce que la raison n’est contrainte par personne à se soumettre à la passion, qui domine dans tout acte mauvais.

CHAPITRE PREMIER

DIEU EST-IL L’AUTEUR DE QUELQUE MAL ?

1. Evode. Dis-moi, je te prie, si Dieu n’est pas l’auteur du mal. — Augustin. Je te le dirai, dès que tu auras éclairci ta question. De quel mal entends-tu parler ? car nous prenons ordinairement ce mot dans deux sens. Dans le premier nous disons : cet homme a mal agi, et dans le second : cet homme a souffert de grands maux. — E. J’entends ici ce mot dans l’un et l’autre sens. — A. Eh bien ! si tu crois ou comprends que Dieu est bon, et le contraire n’est pas permis, il ne peut mal agir ; si nous admettons ensuite qu’il est juste, et le nier serait un blasphème, il s’ensuit qu’il distribue aux bons les récompenses, et aux méchants les supplices. Or les supplices sont des maux pour ceux qui les souffrent. Mais personne n’est puni injustement, il faut encore l’avouer, puisque nous croyons à une Providence Divine gouvernant cet univers. Il est donc certain que Dieu n’est pas l’auteur du mal entendu dans le premier sens, mais qu’il l’est du mal entendu dans le second. — E. Puisque Dieu n’est pas l’auteur de ce mal, il y en a donc un autre ? — A. Sans doute, puisque le mal se fait, il faut bien qu’il ait un auteur ; mais si tu prétends qu’on te dise son nom, tu veux l’impossible ; car ce n’est pas une personne unique chaque méchant est l’auteur de ses méfaits. Si tu en doutes, réfléchis à ce que nous disions tout à l’heure : c’est la justice de Dieu qui punit les mauvaises actions. Or elles ne seraient pas punies avec justice, si elles n’étaient volontaires[2].

2. E. Je doute qu’un homme pèche, sans avoir été instruit à pécher. S’il en est ainsi, je voudrais savoir qui est celui qui nous a appris à mal faire. — A. Crois-tu que l’instruction soit un bien ? — E. Qui oserait dire que l’instruction soit un mal ? — A. Et si elle n’était ni bonne, ni

  1. Cet ouvrage est dirigé contre les Manichéens, comme saint Augustin le répète plusieurs fois au livre des Rétractations. (Lib. I, ch. IX). Il a été commencé en l’an de Jésus-Christ 388, et terminé en 395.
  2. Voyez Rétract, liv. I, chap. IX, n. 3.