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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/519

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autrement que pour intimer l’ordre de faire quelque chose.
XVIII. (Ib. 11, 17.) Sur la participation des soixante-dix vieillards à l’esprit de Moïse. – « Je prendrai de l’esprit qui est en toi, et je le ferai reposer sur eux : et ils supporteront avec toi le fardeau du peuple, et tu ne les porteras pas seul. » La plupart des traducteurs latins n’ont pas rendu fidèlement le texte grec ; ils ont dit : « Je prendrai de ton esprit qui est en toi, et je le mettrai en eux, ou sur eux : » il en est résulté un sens d’une interprétation difficile. On peut croire en effet qu’il est question de l’esprit de l’homme, de cet esprit qu’on désigne également sous le nom d’âme, et qui, uni au corps, constitue notre nature humaine. L’Apôtre en parle en ces termes : « En effet, qui des hommes connaît ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu[1]. » Ce qu’il ajoute : « Or, nous n’avons point reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui procède de Dieu [2] » rend sensible la différence qui existe entre notre esprit et l’Esprit de Dieu, dont l’esprit de l’homme est rendu participant par la grâce, divine. Néanmoins on pourrait encore, avec certains commentateurs, admettre que ces mots : « de ton esprit qui est en toi » peuvent s’entendre de l’Esprit de Dieu de ton esprit, parce qu’en effet l’Esprit de Dieu, venant en nous devient aussi nôtre ; c’est ainsi que l’Écriture attribue à Jean « l’esprit et la vertu d’Elie [3]. » Ce n’est pas que l’âme d’Élie se fût transportée en lui : car si quelques-uns tombent dans cette hérésie[4], comment expliqueront-ils ce passage de l’Écriture : « L’esprit d’Élie reposa sur Élisée [5] ? » Élisée n’avait-il pas déjà son âme ? Cela ne signifie-t-il pas que l’Esprit de Dieu opérait par lui des merveilles semblables à celles qu’il faisait par le ministère d’Élie ; sans qu’il eût besoin de se retirer de celui-ci pour remplir celui-là, et en se partageant, d’être moins dans l’un, afin de pouvoir être au même moment partiellement dans l’autre ? Car il est Dieu et par conséquent il peut être avec la même perfection dans tous ceux en qui il daigne habiter par sa grâce. Mais comme il est écrit : « Je prendrai de l’esprit qui est sur toi » et non « de ton esprit » la question se résout dès lors très-facilement : nous comprenons en effet ce que Dieu a voulu faire entendre : c’est que les soixante-dix vieillards recevront l’assistance du même Esprit de grâce qui soutenait Moïse, et qu’ils y participeront autant que Dieu voudra, sans que les dons accordés à Moïse en soient diminués.
XIX. (Ib. 11, 21-23.) Moïse a-t-il manqué de confiance en Dieu ? – « Moïse lui dit : Il y a six cent mille hommes de pied, dans ce peuple au milieu duquel je suis ; et vous dites : Je leur donnerai de la chair, et ils en mangeront pendant tout un mois. Faudra-t-il égorger les brebis et les bœufs, afin qu’il y en ait assez pour eux ? ou ramassera-t-on tous les poissons, pour qu’ils en aient suffisamment ? » On demande ordinairement si Moïse parle ici en homme qui doute, ou en homme qui interroge. Si nous admettons que son langage est inspiré par la défiance, alors se présente cette question : Pourquoi Dieu ne lui en fait-il pas un reproche, comme il le reprit d’avoir semblé mettre en doute sa toute-puissance, auprès du rocher d’où l’eau sortit[6] ? Si au contraire nous disons qu’il a voulu demander à Dieu la manière dont s’accomplirait ce prodige, la réponse du Seigneur, formulée dans les termes suivants : « La main du Seigneur ne pourra-t-elle y suffire [7] ? » semble renfermer un reproche adressé à la foi de Moïse. Mais si Dieu lui fit cette réponse, je crois plutôt que c’était dans le dessein de lui cacher ce qu’il voulait savoir, c’est-à-dire la manière dont ce fait arriverait, se réservant de montrer à l’œuvre sa toute-puissance. Lorsque Marie s’exprimait en ces termes : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme [8] ? » des langues mauvaises auraient pu aussi objecter qu’elle avait manqué de foi ; tandis qu’elle demandait à Dieu le moyen dont il se servirait, sans pour cela mettre en doute, sa toute-puissance. Quant à la réponse qui lui fut adressée : « Le Saint-Esprit viendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre [9] » elle pouvait, sans que rien fût changé au sens, se formuler comme dans le cas présent : Cela est-il impossible à l’Esprit-Saint, qui descendra en toi ? Au contraire Zacharie fut repris de son manque de foi, pour avoir tenu un langage semblable, et, en punition de sa faute, il fut privé de la parole [10]. Pourquoi ? si ce n’est parce que Dieu juge les cœurs, et non les paroles. Ainsi, les paroles de Moïse, au moment où il

  1. 1Co. 2, 11
  2. Id. 12
  3. Luc. 1, 17
  4. Tertull. de l’âme, ch. 35.
  5. 2Ro. 2, 15
  6. Nom. 20, 10
  7. Ib, 11, 23
  8. Luc. 1, 34
  9. Id. 35
  10. Id. 18-20