Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/134

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anéanti lui-même, prenant la nature d’esclave, devenu semblable aux hommes et reconnu pour homme par les dehors [1]. » Pour toi donc Dieu s’est fait homme, et tout homme que tu sois, tu ne veux pas le reconnaître ? Pour toi il s’est fait homme exempt de péché, et pour venir à Lui qui a dit : « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai » tu ne veux pas reconnaître que tu es pécheur ?
10. « Prenez mon joug sur vous. » As-tu pris ce joug ? l’as-tu pris ? Sens-tu que quelqu’un pèse sur loi ? Sens-tu que tu as un guide ? – Je le sens, réponds-tu. – Dis-lui donc : « Dirigez mes pas selon votre parole. » Il te conduit sous son joug et sous son fardeau. Pour te rendre ce joug doux et ce fardeau léger, il t’a inspiré son amour. Cet amour adoucit le joug ; le joug est dur pour qui n’aime pas. Cet amour rend le joug doux, et c’est le Seigneur qui répand cette douceur[2]. Si tu es venu en entendant cette parole « Venez à moi », ne t’attribuerais-tu pas d’être venu ainsi ? C’est par mon libre arbitre, dis-tu, c’est par ma volonté que je suis venu. Et parce que je suis venu, il me répare ; et parce que je suis venu, il m’impose son joug délicieux ; en me donnant son amour, il m’impose aussi, son fardeau bien léger pour mon zèle et pour mon affection : il a fait tout cela en moi, mais parce que je suis venu à Lui. Tu crois donc, en ta sagesse, que si tu es venu à lui, c’est à toi que tu en es redevable ? Mais « qu’as-tu que tu ne l’aies reçu[3] ? » Comment es-tu venu ? Tu es venu en croyant ; mais tu n’es pas encore au terme. Nous sommes en chemin, nous marchons, mais nous ne sommes point arrivés. « Servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement, de peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous égariez de la droite voie[4]. » Crains qu’en t’attribuant d’être entré dans la droite voie, ta présomption ne t’en éloigne. – C’est moi, dis-tu, qui y suis entré, grâce à ma résolution, grâce à ma volonté. — Pourquoi t’enfler ? Pourquoi te gonfler d’orgueil ? Veux-tu connaître que tu lui dois encore d’être venu ? Écoute sa voix : « Nul ne vient à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attires.[5] »


SERMON XXXI. LES LARMES ET LA JOIE DES JUSTES[6].

ANALYSE. – Il semble d’abord que ces paroles « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie, s’appliquent principalement aux martyrs : ils ont eu tant à souffrir pour l’amour de Dieu et leur récompense est si brillante. Mais les plus généreux d’entre eux ont souffert avec joie, et l’oracle cité parait plutôt destiné à consoler et à encourager la faiblesse. Les faibles en effet, je parle des faibles parmi les justes, ont bien des sujets de larmes : ils pleurent de voir tant d’âmes livrées à la vanité ; ils pleurent pour obtenir la grâce divine ; ils pleurent d’entendre si souvent des blasphèmes. Aussi leur récompense est assurée ; au lieu que les impies, après avoir pleuré eux-mêmes, né quitteront cette vie passagère que pour pleurer toujours.


1. Le psaume que nous venons de chanter en l’honneur de Dieu paraît convenir aux saints martyrs ; mais si nous sommes les membres du Christ, comme nous devons l’être, comprenons que ce psaume nous regarde tous.« Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie. Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences ; ils reviendront avec allégresse, portant leurs gerbes dans leurs mains. » Où vont-ils et d’où viennent-ils ? Que sèment-ils dans les larmes ? Quelles sont leurs semences ? Quelles sont leurs gerbes ? Ils courent à la mort et viennent de la mort. Ils y courent en naissant, ils en viennent en ressuscitant. Ils sèment les bonnes œuvres et moissonnent l’éternelle récompense. Ainsi nos semences sont toutes les bonnes œuvres que nous faisons, et nos gerbes la récompense que nous recevrons à la fin. Mais si ces semences fécondes sont les bonnes œuvres, pourquoi les accompagner de larmes, attendu que Dieu aime celui qui donne avec joie [7] ?
2. Remarquez d’abord, mes très-chers, comment

  1. Phil. 2, 6-8
  2. Ps. 84, 13
  3. 1 Cor. 4, 7
  4. Ps. 2, 11, 12
  5. Jn.

    no match

    6, 44
  6. Ps. 125, 5
  7. 2 Cor. 9, 7