Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/149

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On appelle cher et non sans motif, ce qui est de grand prix. Ne dites-vous pas ordinairement Ceci est plus cher que cela ? Que signifie : Est plus cher ? N’est-ce pas : Est de plus haut prix ? Or si l’on appelle plus cher ce qui est de plus haut prix, quoi de plus cher que la charité même ? A combien, mes frères, en évaluons-nous le prix ? Où le trouver ? Tu paies le blé avec de ta monnaie ; une terre, avec ton argent ; une perle, avec ton or ; et la charité, avec toi-même. Tu cherches à acheter un domaine, une perle, une bête de somme, et pour en trouver le prix, tu cherches dans tes terres, tu cherches chez toi. Mais pour acheter la charité, c’est toi-même qu’il faut chercher, toi-même qu’il faut trouver. Eh ! Craindrais-tu de te perdre en te donnant ! Tu te perds, au contraire, en ne te donnant pas. La Charité même s’exprime par l’organe de la Sagesse, et elle te dit une chose propre à te rassurer sur cette parole : Donne-toi. Si un homme voulait te vendre un champ, il te dirait : Donne-moi ton or ; et si un autre voulait te vendre quelque autre chose, il te dirait également Donne-moi ta monnaie, donne-moi ton argent. Ecoute ce que te dit la Charité par la bouche de la Sagesse : « Mon fils, donne-moi ton cœur [1]. Donne-moi dit-elle ; donne-moi, mon fils. » Quoi ? « Ton cœur. » Il était mal chez toi, il était mal quand il était à toi. Car tu te traînais au milieu des frivolités, des amours impures et pernicieuses. Ote ton cœur de là ? Où l’élever ? Où le mettre ? Donne-le-moi. Qu’il soit entre mes mains et il ne périra point dans les tiennes. Dieu veut-il en effet laisser en tonde quoi aimer même toi, puisqu’il te dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ? » Et de ton cœur que te reste-t-il pour pouvoir t’aimer toi-même ? Que te reste-t-il de ton âme ? Que te reste-t-il de ton esprit ? « De tout », dit le Seigneur. Après t’avoir créé il te veut tout entier. Mais ne t’attriste pas, comme si le foyer de toute joie était éteint dans toi-même. « Qu’Israël se réjouisse », non en soi, mais en « celui qui l’a formé. »
8. Tu insisteras et tu diras : Si Dieu ne me laisse rien pour m’aimer ; si je suis obligé d’aimer de tout mon cœur, de toute mon âme et de tout mon esprit, Celui qui m’a créé, comment m’est-il commandé par le second précepte d’aimer mon prochain comme moi-même ? – C’est ce qui fait que tu dois davantage à ton prochain l’amour de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. – Comment ? – « Tu aimeras ton prochain comme toi-même [2]. » Dieu donc de tout moi-même, et mon prochain comme moi-même. Mais comment m’aimer ? comment t’aimer ? – Veux-tu savoir comment tu peux t’aimer ? C’est précisément en aimant Dieu de tout ton être que tu t’aimes toi-même. Penses-tu faire à Dieu quel, qu’avantage en l’aimant ? Que lui revient-il de ton amour ? Que perdra-t-il si tu ne l’aimes pas ? C’est toi qui gagnes à l’aimer ; tu te tiens alors où tu ne saurais périr.
Mais, répliques-tu, fut-il jamais un temps où j’ai manqué de m’aimer ? – Non tu ne t’aimais pas lorsque tu n’aimais pas Dieu qui t’a donné l’être. Mais en te haïssant alors, tu croyais t’aimer. « Qui aime l’iniquité hait son âme[3]. »
Prière après le sermon. – Tournons-nous avec un cœur pur vers le Seigneur notre Dieu, le Père tout-puissant ; rendons-lui, dans la mesure de notre petitesse, d’immenses et abondantes actions de grâces ; supplions de toute notre âme son incomparable bonté de daigner agréer et exaucer nos prières ; qu’il daigne aussi, dans sa force, éloigner de nos actions et de nos pensées l’influence ennemie, multiplier en nous la foi, diriger notre esprit, nous donner des pensées spirituelles et nous conduire à sa propre félicité Au nom de Jésus-Christ, son Fils et notre Seigneur, qui étant Dieu vit et règne avec lui dans l’unité du Saint-Esprit et durant les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.

  1. Prov. 23, 26
  2. Mt. 12, 37, 39
  3. Ps. 10, 6