Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/235

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4. À Lui donc qui sait faire un tel usage de l’or et de l’argent appartiennent réellement et l’argent et l’or. Parmi les hommes eux-mêmes le bon usage n’est-il pas un titre à posséder ? Est-on en droit d’avoir ce qu’on ne sait employer avec justice ? Et si l’on se prétend possesseur de ce que l’on retient sans aucun droit, on n’en est pas le possesseur légitime, mais l’impudent et injuste usurpateur. De là il suit que si l’on revendique avec raison, non pas ce qu’a envahi une injuste et folle cupidité, mais ce qu’on administre avec une autorité pleine de prudence et une modération pleine de justice ; Dieu ne peut-il pas beaucoup mieux et avec plus de vérité soutenir que l’or et l’argent sont à lui ? Car il les a créés dans son immense bonté, il sait les employer avec une souveraine justice, et sans son ordre ou sa permission personne ne peut posséder l’or et argent, ni les méchants pour e le supplice de leur avarice, ni les bons pour l’exercice de leur bienfaisance ; exercice limité, car ils ne peuvent ni créer les richesses, ni les reprendre ou les distribuer à leur gré dans le monde.
5. Supposé que les méchants seuls aient en partage l’or et l’argent, on devrait croire que c’est un mal ; et s’ils n’appartenaient qu’aux bons, on serait porté à les considérer comme un grand bien. D’un autre côté, si les méchants seuls en étaient privés, la pauvreté semblerait un grand châtiment ; et si c’étaient les bons seuls, la même a pauvreté serait regardée comme le souverain bonheur. Veux-tu savoir qu’il peut être bon d’avoir de l’or ? Les hommes de bien en ont. Veux-tu savoir aussi que ce n’est pas l’or qui te fait leur vertu ? Les méchants possèdent aussi de l’or. Pour nous apprendre que pauvreté n’est pas malheur, il y a des pauvres heureux ; et pour nous apprendre aussi que pauvreté n’est pas bonheur, il est des pauvres malheureux. Ainsi donc lorsque le Créateur suprême et gouverneur de toutes choses distribue aux hommes l’or et l’argent, il veut qu’on les regarde comme bons dans leur nature et dans leur genre, quoiqu’ils ne soient ni un grand bien ni le bien souverain, et que dans la place qui leur est faite ils excitent à louer le Seigneur de l’univers ; il veut aussi que les bons sachent ne pas s’enorgueillir quand ils les ont en abondance, ni se laisser abattre quand ils en sont privés, et que les méchants soient aveuglés lorsqu’ils les possèdent, tourmentés quand ils les perdent.
6. On ne saurait donc blâmer aucunement ce que Dieu a créé pour sa gloire, pour l’honneur des bons et pour le supplice des méchants. Dieu peut aussi avec la plus parfaite vérité, appeler sien non-seulement ce qu’il a établi avec la plus généreuse bonté, mais encore ce qu’il distribue avec la plus sage prévoyance. Si maintenant le Seigneur dans l’Évangile appelle ces choses des richesses d’iniquité, c’est pour faire entendre qu’il y a d’autres richesses qui sont le partage exclusif des hommes de bien et des justes, et que c’est l’iniquité qui donne aux premières le nom de richesses. La justice sait en effet qu’il existe d’autres trésors destinés à orner l’homme intérieur ; c’est d’eux que par le bienheureux Pierre quand il dit : « Lequel est riche devant Dieu[1]. » Ces dernières richesses sont appelées justes, parce qu’elles sont le lot des justes, de ceux qui les ont méritées ; et vraies, parce qu’en les possédant on n’est pas en proie à l’indigence. Les autres sont nommées injustes, non qu’il y ait injustice dans l’or et l’argent, mais parce qu’il est injuste de dire que ce sont des richesses, attendu qu’elles ne préservent pas du besoin. Chacun en effet n’éprouve-t-il pas des désirs d’autant plus ardents qu’il po9sède avec attachement de plus nombreux trésors ? Et comment appeler richesses ce qui en s’accroissant fait croître les besoins, ce qui ne saurait s’augmenter pour ceux qui en sont avides, sans enflammer leur cupidité au lieu d’apaiser leur soif ? Estimes-tu riche celui à qui il manquerait moins s’il possédait moins ? Combien voyons-nous d’hommes qui se réjouissaient en faisant de petits profits lorsqu’ils étaient peu riches, et qui maintenant qu’ils possèdent de l’or et de l’argent véritables, mais de fausses richesses, refusent les gains médiocres qu’on peut leur offrir ! Tu les crois enfin satisfaits : tu te trompes. L’accroissement de leur opulence n’a fait que dilater leur avarice, que l’enflammer sans la calmer. Ils rejettent un verre d’eau, parce qu’il leur faut un fleuve. Ainsi donc, est-ce comme plus riche, est-ce comme plus indigent qu’il faut considérer cet homme qui a cherché à s’enrichir pour n’éprouver pas de besoins, et qui n’est devenu plus riche que pour en ressentir davantage ?
7. Ce n’est toutefois la faute ni de l’or ni de l’argent. Suppose en effet qu’un homme compatissant ait découvert un trésor : est-ce que par compassion il ne s’empresse pas de donner l’hospitalité aux voyageurs, de nourrir les affamés, de fournir des vêtements à qui en manque, d’aider

  1. 1 Pi. 3, 4