Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/301

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3. Le Seigneur était donc à table dans la maison d’un pharisien orgueilleux. Je dis dans sa maison, car il n’était pas dans son cœur ; tandis que sans entrer dans la maison du Centurion, il habitait son âme, et que Zachée le reçut en même temps dans son palais et dans son cœur[1]. Or c’est l’humilité que Jésus loue dans la foi de ce Centurion. Il avait dit : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure ; » et le Seigneur répondit : « En vérité je vous le déclare, je n’ai point rencontré une foi si grande dans Israël : » dans Israël selon la chair, ce soldat étant déjà Israélite selon l’esprit. Le Seigneur en effet était venu d’abord vers Israël selon la chair, c’est-à-dire vers les Juifs, pour y chercher les brebis perdues ; c’est au sein et du sang de ce peuple qui avait pris chair ; il dit néanmoins : « Là je n’ai point rencontré une foi si grande. » C’est comme homme seulement que nous pouvons mesurer la foi des hommes ; mais Celui dont le regard pénètre l’intérieur, Celui que personne ne saurait tromper, rendit témoignage aux dispositions de cet homme, et en entendant ses paroles d’humilité il prononça en sa faveur une sentence de guérison.
4. D’où lui en vint l’espoir ? « Pour moi, dit-il, qui suis un homme soumis à la puissance d’un autre et qui ait sous moi des soldats, je dis à l’un : Va, et il va ; et à un autre : Viens et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela et il le fait. » Autorité pour mes subalternes, je suis soumis à une autorité supérieure. Si donc tout homme et tout subordonné que je suis, j’ai le pouvoir de commander, de quoi n’êtes-vous pas capable ; vous à qui obéissent toutes les puissances ? – Cet homme était gentil. En effet il était centurion et déjà il y avait en Judée des soldats de l’empire romain. C’est donc en Judée qu’il exerçait sur quelques troupes le commandement dévolu à sa charge ; qu’il était soumis et qu’il commandait ; qu’il obéissait avec soumission et qu’il commandait ses subordonnés. Or le Seigneur, c’est ce que doit remarquer principalement votre charité, faisait entendre dès lors sans sortir du milieu des Juifs, que son Église se répandrait dans tout l’univers, où il enverrait ses Apôtres la fonder. Ainsi les, gentils ne le verraient pas et croiraient en lui, tandis que les Juifs en le voyant le mettraient à mort. Il n’entra point visiblement dans la demeure du Centurion, et quoique absent de corps il porta, par la présence de sa majesté, la grâce dans son âme croyante et la santé dans sa famille. N’est-ce pas ainsi qu’il ne fut visible qu’au sein du peuple juif, et que sans être ailleurs né d’une vierge, sans avoir parmi les autres nations ni souffert ni marché, sans y avoir supporté l’infirmité humaine et déployé la puissance divine, sans y avoir en un mot rien fait de semblable, il a vu en lui-même l’accomplissement de cet oracle : « Le peuple que je ne connaissais pas, m’est soumis ? » Comment soumis, s’il ne le connaissait pas ? C’est qu’« il m’a obéi en entendant ma voix[2]. » La nation juive l’a donc vu et l’a crucifié ; l’univers a entendu sa parole et a cru en lui.
5. Cette absence corporelle et cette présence spirituelle du Sauveur parmi les gentils, dut être figurées aussi dans la personne de cette femme qui toucha la frange de son vêtement. « Qui m’a touché ? » demande-t-il. Cette question ne semble-t-elle pas indiquer qu’il était absent ? Mais, comme présent, il opère la guérison : « La foule vous presse, répondent les Apôtres, et vous dites : Qui m’a touché[3] ? » Car en disant : « Qui m’a touché ? » il parlait comme si en marchant il ne devait être touché par aucun corps. « La foule vous presse », crient les Apôtres. Mais c’est comme : si le Seigneur avait dit : Je cherche qui me touche et non qui me presse. Ainsi en est-il aujourd’hui de l’Église, qui est son corps. Elle est comme touchée par la foi du petit nombre et pressée parla multitude. Enfants de l’Église, vous savez qu’elle est le corps du Christ, et si vous le voulez, vous êtes ce corps vous-mêmes. L’Apôtre ne dit-il pas à différentes reprises : « Pour son corps, qui est l’Église[4] » ; – « Vous êtes le corps du Christ et ses membres[5] ? » Si donc nous sommes son corps, son Église souffre aujourd’hui ce que souffrait alors son corps pressé par la foule. Elle est pressée par le grand nombre, et touchée par le petit ; pressée par la chair, et touchée par la foi. Levez donc les yeux, je vous en prie, vous qui pouvez voir. Voici un grand spectacle. Levez les yeux de la foi, touchez ainsi le bout des franges de son vêtement ; ce sera assez pour votre salut.
6. Reconnaissez l’accomplissement de ce que vous avez vu prédit dans l’Évangile. « Je vous le déclare donc », dit le Sauveur, « pour ce motif », c’est-à-dire en considération de cette foi du Centurion, de cet homme étranger par la chair, mais

  1. Luc. 19, 6
  2. Psa. 17, 45
  3. Luc. 8, 43-48
  4. Col. 1, 24
  5. 1 Co. 11, 27