Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/399

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avait répondu : « Il est vrai Seigneur ; mais les chiens se nourrissent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ; » pour entendre ensuite : « O femme ! ta foi est grande ; qu’il te soit « fait comme tu désires [1]. » De la gentilité faisait aussi partie ce Centurion de qui le Seigneur disait : « En vérité je vous le déclare, je n’ai pas rencontré autant de foi dans Israël. » C’est que ce Centurion s’était écrié : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure : mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri[2]. » Ainsi donc avant même sa passion et la diffusion de sa gloire, le Seigneur désignait ces deux peuples. Vers l’un il était venu par suite des promesses adressées aux Patriarches ; et sa miséricorde ne lui permettrait pas de repousser l’autre c’était encore l’accomplissement de cette parole « Dans ta race, avait-il été dit à Abraham, toutes les nations seront bénies[3]. » C’est pour ce motif qu’après la résurrection du Seigneur et son ascension, l’Apôtre se voyant méprisé par les Juifs s’adressa aux gentils, sans toutefois garder le silence devant les Églises formées par les Juifs devenus croyants. « J’étais, dit-il, inconnu de visage aux Églises de Judée qui sont dans le Christ. Seulement elles avaient ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait alors de détruire ; et elles glorifiaient Dieu à mon sujet, poursuit-il[4]. » C’est dans ce sens que Jésus-Christ est appelé la pierre angulaire, car de deux choses il en a fait une[5]. La pierre angulaire, en effet, réunit deux murs qui vont en sens divers. Et qu’y a-t-il de plus divers que la circoncision et la gentilité ? Ce sont deux murs qui viennent, l’un de la Judée, et l’autre du milieu des nations, et ils se joignent à la pierre angulaire ; à cette pierre « qui fut d’abord repoussée par les constructeurs et qui est devenue la pierre de l’angle[6]. » Mais il n’y a d’angle dans un édifice qu’autant que se joignent, pour constituer fine espèce d’unité, deux murailles de direction différente. Or ces deux murailles sont figurées par les deux aveugles qui criaient vers le Seigneur.
11. Remarquez maintenant, mes bien-aimés. Le Seigneur passait et les aveugles criaient. Il passait, qu’est-ce à dire ? Il faisait des œuvres passagères, ainsi que nous l’avons déjà observé, et par ces œuvres passagères il construisait l’édifice de notre foi. Car nous ne croyons pas seulement au Fils de Dieu considéré comme Verbe de Dieu et Créateur de toutes choses. Si toujours il était resté avec sa nature divine et son égalité avec Dieu, il ne se serait pas anéanti en prenant la forme d’esclave, et les aveugles, ne sentant point sa présence, n’auraient pas pu crier. Mais quand il s’appliquait à des œuvres qui passent, en d’autres termes, quand il s’humiliait et se faisait obéissant jusque la mort, et la mort de la croix, les deux aveugles crièrent : « Ayez pitié de nous, Fils de David. » C’est que déjà, Seigneur et Créateur de David, Jésus voulut devenir en même temps son fils : c’était encore une œuvre du temps, une œuvre qui passait.
12. Maintenant, mes frères, qu’est-ce que crier vers le Christ, sinon répondre par ses bonnes œuvres à la grâce du Christ ? Ce que je remarque, mes frères, afin que nous évitions d’être bruyants en paroles et silencieux en bonnes actions. Quel est donc celui qui crie vers le Christ pour obtenir d’être guéri de l’aveuglement intérieur à son passage ? A son passage, c’est-à-dire pendant que nous distribuons les sacrements qui passent et qui portent à s’attacher aux choses qui ne passent point. Quel est, dis-je, celui qui crie vers le Christ ? Crier vers le Christ, c’est mépriser le monde. Crier vers le Christ, c’est fouler aux pieds les plaisirs du siècle. Crier vers le Christ, c’est dire, non en parole, mais par toute sa vie : « Le monde m’est crucifié, et je le suis au monde [7]. » Distribuer et donner aux pauvres pour obtenir la justice qui subsiste à jamais[8], c’est aussi crier vers le Christ. Car entendre et entendre sans être sourd ce divin conseil : « Vendez vos biens et les donnez aux pauvres. Faites-vous des bourses que le temps n’use point, un trésor qui ne vous fasse pas défaut dans le ciel[9] ; » c’est en quelque sorte entendre le bruit que fait le Christ en passant. Ah ! c’est alors qu’il faut crier vers lui, c’est-à-dire suivre cet avis. Que la voix de chacun soit dans sa conduite, que chacun se mette à mépriser le monde, à donner son bien à l’indigent, à regarder comme un néant ce qui passionne les mortels, à dédaigner les injures, sans aucun désir de vengeance, à présenter la joue aux soufflets, à prier pour ses ennemis, à ne réclamer pas ce dont on a été dépouillé, et si on a dépouillé quelqu’un, à lui rendre quatre fois autant.
13. Mais commence-t-on à vivre de la sorte ?

  1. Mat. 15, 22-28
  2. Id. 8, 10, 8
  3. Gen. 22, 18
  4. Gal. 1, 22-34
  5. Eph. 2, 10, 14
  6. Psa. 117, 22
  7. Gal. 6, 14
  8. Psa. 111, 9
  9. Luc. 12, 33