Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui ne sauraient en jouir ! Mais pourquoi vous parler ainsi, pourquoi vous faire cette réflexion, si ce n’est pour vous exciter à crier, au passage de Jésus. Je voudrais faire aimer à votre sainteté une lumière que peut-être vous ne voyez pas encore. Croyez donc, puisque vous ne la voyez pas, et criez pour obtenir de la voir. On déplore l’infortune d’être privé de la vue de cette lumière sensible. Un homme est-il aveugle ? On dit aussitôt : Il a Dieu contre lui, il a fait quelque méchante action. C’est ce que répétait à Tobie son épouse. Tobie criait pour un chevreau, craignant qu’il n’eût été dérobé ; il ne voulait pas souffrir dans sa maison l’idée même du larcin. Son épouse, pour se défendre, outrageait son mari. L’un disait : S’il est mal acquis, rendez-le ; et l’autre avec insulte : Que sont devenues tes bonnes œuvres [1] ? Comme elle était aveugle, de défendre son larcin ! Et comme lui voyait clair en commandant de restituer ! Extérieurement elle marchait à la lumière du soleil ; et lui, intérieurement, à la lumière de la justice. Laquelle des deux lumières était préférable ?
16. C’est, mes frères, à l’amour de cette lumière que nous exhortons votre charité. Quand le Seigneur passe, criez par vos bonnes œuvres, faites entendre votre foi, afin que Jésus s’arrête, afin que la Sagesse divine, toujours immuable, afin que le Verbe de Dieu, qui a fait toutes choses, vous ouvre enfin les yeux. C’est l’avis que donnait ce même Tobie à son Fils ; il l’invitait à crier, c’est-à-dire à faire de bonnes œuvres. Il lui recommandait de donner aux pauvres, il lui ordonnait de faire l’aumône aux indigents et lui disait : « Les aumônes, mon fils, ne laissent pas tomber dans les ténèbres[2]. » Ainsi un aveugle donnait le moyen de voir la lumière et d’en jouir. « Les aumônes, disait-il, ne laissent pas tomber dans les ténèbres. » Mais si le fils étonné lui eût répondu : Quoi ! mon père, n’avez-vous pas fait l’aumône ? et pourtant… Vous geai me dites : « Les aumônes ne laissent pas tomber dans les ténèbres », n’y êtes-vous point ? Mais le père savait de quelle lumière il parlait à son fils, il connaissait la lumière qui brillait dans son âme, et si le fils donnait la main au père pour le conduire sur la terre, le père la donnait au fils pour le conduire au ciel.
17. En deux mots, mes frères, car il faut conclure ce discours par ce qui nous touche et nous tourmente le plus, reconnaissez qu’il y a une foule pour s’opposer aux cris des aveugles ; et vous tous qui, dans cette foule, cherchez votre guérison, ne vous laissez pas effrayer. Beaucoup portent le nom de chrétiens et mènent la conduite d’impies ; que ceux-là ne vous détournent pas de faire le bien. Criez au milieu de cette foule qui vous impose silence, qui vous rappelle en arrière, qui vous insulte et qui vit dans le désordre ; car ce n’est pas de la voix seulement que les mauvais chrétiens tourmentent les bons, c’est aussi par leurs actions perverses. Un bon Chrétien refuse d’aller au théâtre, et par ce refus même qui met un frein à sa passion, il crie après le Christ, il crie pour obtenir d’être guéri. D’autres y courent ; mais ce sont peut-être des païens ou des juifs ; que dis-je ? ils se trouveraient si peu nombreux au théâtre que la honte même les en ferait sortir, si des chrétiens ne s’y rendaient avec eux. Ces chrétiens y courent donc aussi et y portent pour leur malheur un caractère sacré. Pour toi, crie en n’y allant pas ; comprime en ton cœur cette passion volage, et criant toujours avec autant de force que de persévérance, approche-toi de l’oreille du Sauveur, détermine Jésus à s’arrêter et à te guérir. Au milieu même de la foule, crie, sans désespérer d’être entendu de lui. Est-ce que nos aveugles criaient du côté où n’était pas la foule, pour être entendus où ne se rencontrait aucun obstacle ? Ils criaient au sein de la multitude, et le Seigneur ne laissa pas de les entendre. Vous aussi, du milieu même des pécheurs et des voluptueux, du milieu des hommes, passionnés pour les folies du siècle, criez, criez pour obtenir votre guérison du Seigneur. N’allez pas d’un autre côté crier vers lui, n’allez pas vous mêler aux hérétiques pour crier de là vers le Sauveur. Songez, mes frères, que les aveugles furent guéris au sein de la foule qui les empêchait vainement de crier.
18. Votre sainteté remarquera aussi ce qu’obtient la persévérance à crier de cette sorte. Écoutez ce que plusieurs ont expérimenté avec moi par la grâce du Christ, car l’Église ne cesse de lui donner de tels fils. Un chrétien se met-il à mener une vie réglée, à être zélé pour les bonnes œuvres, et à mépriser le monde ? Dès le début il rencontre dans les chrétiens glacés des opposants et des contradicteurs. Mais persévère-t-il ? triomphe-t-il d’eux par sa patience et sans se relâcher de ses bonnes œuvres ? Bientôt ils l’encouragent au

  1. Tob. 2, 21, 22
  2. Tob. 4, 11